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de deux mille élèves. Nous avons circulé dans la ville et visité d’énormes caves à vin, devenues d’hospitalières catacombes où se trouve une ambulance et qui servent aussi de refuge à ceux qui ne possèdent pas de cave. Le quartier industriel, le long de la rivière, n’est qu’une lamentable ruine : c’est sur lui que les canons allemands se sont surtout acharnés. Le commerce est anéanti, tous les moulins sont détruits. Mais, contrairement aux villes du Nord, Thann a eu la chance de conserver sa silhouette, sa personnalité, une physionomie que ses enfans, quand ils reviendront, pourront reconnaître et qui ranimera leur courage.

Après notre course à travers les ruines, les aimables fonctionnaires de Thann nous proposèrent la charmante diversion d’un carrousel que le …e dragons devait donner dans le voisinage et auquel on voulut bien nous inviter. Cela se passait dans une plaine entourée d’un amphithéâtre de rochers, comme des gradins d’un cirque. Quelques spectateurs et des vaches ruminant paisiblement se partageaient les places ; sur le premier gradin, on avait mis un rang de chaises en demi-cercle pour le monde élégant du voisinage. Dans la plaine, avait lieu le carrousel qui fut plein d’entrain. Les cavaliers, comme toujours dans l’armée française, montaient fort bien. Peu de chevaux pur sang ; le plus grand nombre étaient simplement des bêtes de trait du pays qu’on avait dressées : leur agilité et leur souplesse faisaient l’éloge de leurs cavaliers. Les lanciers, en particulier, exécutèrent une marche en musique autour d’un pennon central qui souleva l’enthousiasme du public élégant des premières aussi bien que celui de la galerie.

Ce public formait lui aussi un spectacle plein d’intérêt. Au premier rang, le général de division et son état-major causaient avec des dames, ainsi que les officiers des états-majors voisins, et que les fonctionnaires civils et militaires du « département du Haut-Rhin » reconstitué. Toutes les classes avaient répondu à cet appel de fête. Nous étions assis au milieu de propriétaires alsaciens, et d’industriels de Thann. Beaucoup d’entre eux avaient été chassés de leurs maisons, d’autres avaient vu leurs moulins détruits, et tous vivaient depuis un an sur les confins de la guerre la plus cruelle, sous la menace de représailles dont la pensée fait frémir : cependant, le ton général était celui d’une élégante réunion dans une paisible ville de garnison. Je