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Celle-ci est la première. Je vous promets que ce sera la dernière. Nous ne pouvons pas nous séparer à cause des enfans. Nous leur devons de vivre côte à côte, comme s’il n’y avait rien eu. (Elle insiste sur ces mots.) J’accepte cela. Acceptez-le. C’est bien le moins que le bourreau ait autant de courage que la victime. (Elle pleure.)

VAUCROIX.

Vous pleurez !... Mais vous m’aimez donc ?

BERNARDINE, s’exaltant davantage.

Qu’est-ce que cela peut vous faire que je vous aime ou non, puisque je n’existe pas pour vous ?

VAUCROIX.

Mais ce n’est pas vrai. Bernardine.

BERNARDINE.

Si, c’est vrai, puisque vous avez supporté, des jours et des jours, que je sois outragée dans ma maison, par mon amie d’enfance ; puisque vous avez pu devenir l’amant de cette amie... Ce matin encore, ce baiser de Judas qu’elle m’a donné devant vous, il m’a brûlé la joue, brûlé le cœur, et vous l’avez vu, et vous n’avez pas crié !... Ah ! le pire chagrin, ce ne sont pas vos actions, c’est l’évidence que je ne suis rien, rien pour vous, rien.

VAUCROIX.

Vous ne savez pas ce que vous pouvez m’être, ce que vous m’êtes, si vous m’aimez.

BERNARDINE.

Oui, je vous aime, et c’est ma douleur, c’est ma honte. Je voudrais tant ne pas vous aimer. Vous n’avez pas respecté le reste, respectez ça. Laissez-moi étouffer en silence d’un sentiment si lamentable. Comprenez donc que c’est un comble d’outrage pour une femme trahie que de lui faire montrer son amour.

VAUCROIX.

Montrez-le pourtant, Bernardine, par pitié pour un homme si égaré, mais si puni. C’est trop terrible, le silence, trop meurtrier.