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clef séparée, il y avait une lettre. Sauf cela, le tiroir était vide. Je me rappelais qu’avant votre départ vous aviez brûlé beaucoup de papiers dans cette cheminée. Vous me l’aviez dit vous-même. ; C’était évidemment le tiroir où vous les gardiez. Dans la hâte du départ, vous n’aviez pas pris garde à cette enveloppe, restée droite et collée contre la planchette. Elle est encore à la même place. Je l’y ai remise et laissée, parce que je voulais me taire, je vous le répète. C’est une lettre de Julie. Je vous ai rendu vos clefs hier. Relisez-la. Vous ne me demanderez plus ce que je sais.

VAUCROIX, après un silence.

Je n’essaierai pas de me justifier. Bernardine. C’est vrai : j’ai été très coupable envers vous. Soyez seulement bien sûre que je n’ai pas attendu ce moment pour le sentir. Vous savez ma faute. Ce que vous ne savez pas, c’est la tristesse des heures que j’ai passées sur mon lit d’hôpital et dans ma prison, à regarder ma vie en face et à souhaiter, douloureusement, passionnément, qu’elle eût été autre. Vous ne me croirez pas. Vous en avez le droit, (il a marché dans la chambre en parlant. Il s’arrête devant Bernardine.) Mais tout cela, c’est le passé, l’irréparable. Il y a le présent et qu’il faut régler... Vous vouliez vous taire. Peut-être aviez-vous raison. Peut-être aviez-vous tort. Vous avez parlé. En parlant, vous avez créé entre nous une situation absolument nouvelle. Comment concevez-vous la vie de notre ménage maintenant ?

BERNARDINE.

Mais je vous l’ai dit.

VAUCROIX.

Vous ne pouvez pas penser sérieusement ce que vous m’avez dit. A dater d’aujourd’hui, après que vous avez lu cette lettre et que je le sais, vous infliger une certaine présence serait, de ma part, un procédé dont vous devez tout de même comprendre que je suis incapable.

BERNARDINE, s’exaltant, et des sanglots dans la voix.

Vous êtes comme tous les hommes. Vous voulez bien percer un cœur. Vous ne voulez pas le voir saigner. Il a bien eu, ce cœur déchiré, la force de saigner si longtemps sans une plainte.