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LABRUNIE.

C’est juste. Ton secret t’appartient, et je n’ai pas le droit de t’en parler.

VAUCROIX.

Si, au contraire. Parle-m’en. Je te l’ai donné ce droit, le jour où je t’ai demandé ce service. Et puis tu me feras du bien. Tu m’aideras peut-être à y voir clair en moi. Qu’est-ce que tu penses ?

LABRUNIE.

Tu le veux ?... Je pense que cette lettre était pour une femme, que cette femme n’est pas ta femme, que cette femme a une situation à ménager. La double enveloppe le prouve. Je conclus que tu as, ou que tu avais, une liaison, très probablement dans le monde, et, du moment que tu as brûlé ce papier, je conclus encore qu’elle est rompue. Sinon, tu aurais gardé ta lettre, pour la montrer et te faire dire : « Cet adieu, à moi, avant d’aller à la mort ! Comme tu m’aimes ! »

VAUCROIX.

C’est logique. Telle a été ma première idée, en effet, quand tu m’as rendu l’enveloppe tout à l’heure. Et puis je l’ai brûlée. Ces deux mouvemens, le premier vers une reprise du passé, le second vers une rupture, c’est tout moi à cette heure-ci. Oui, Richard, quand je suis parti pour la guerre, au mois d’août 1914, j’étais engagé depuis un an dans une passion pour laquelle j’ai marché sur tous mes devoirs. La personne qui en était l’objet n’a pas cessé, durant ma captivité, de me prouver, comme elle a pu, qu’elle m’aimait toujours. C’est moi qui ne sais plus si je l’aime.

LABRUNIE.

J’avais donc raison. Va. Quand on ne sait plus si l’on aime, on n’aime plus.

VAUCROIX.

Ce n’est pas si simple. Voyons, Labrunie, pense à toi-même. Rappelle-toi ce que tu étais au commencement de ce mois d’août 1914, tes goûts, tes plaisirs, j’irai plus loin, tes sentimens,