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dur, avec des engins plus terribles, une guerre plus épouvantable. Dans les naufrages qu’il ordonna, tout ce qu’il pleure, ce ne sont pas les victimes, c’est le bateau. « Que Dieu punisse et que les flots engloutissent l’Angleterre ! » c’est plus que son serment d’Annibal, c’est le soupir profond de son âme piétiste.

Or, M. de Tirpitz s’en va au lendemain du jour où l’Allemagne a lancé à l’humanité son dernier défi. A la vérité, on aperçoit mal ce que le mémorandum de février 1916 a pu ajouter en horreur à celui de février 1915. En effet, dès le 4 février 1915, l’Allemagne signifiait au monde cet avertissement : « A partir du 15 février prochain, l’Allemagne considérera comme zone militaire les régions maritimes qui touchent à la Grande-Bretagne et à l’Irlande ; à partir de cette date, les navires de guerre allemands de tout genre détruiront tout navire qu’ils rencontreront dans ces eaux, même s’il n’est pas possible de sauver l’équipage et les passagers ; aucune garantie ne sera accordée aux navires neutres. » S’agit-il de la résolution cyniquement affichée de couler les navires de commerce prétendus armés ? Mais la question avait été posée dès la première semaine d’octobre 1914, à propos des sinistres exploits de l’Emden dans l’Océan indien. Depuis lors, il n’a pas fait bon, pour un navire de commerce, même neutre, armé, prétendu tel, supposé tel, ou non, rencontrer un torpilleur ou un sous-marin, battant ou le pavillon de l’Empire ou un pavillon emprunté. La note complémentaire de l’Allemagne aux États-Unis, du présent mois de mars, n’est donc à retenir que comme un monument de cynisme et d’hypocrisie. Personne n’aura été surpris d’apprendre par cette note que, si l’Allemagne recule sur mer comme sur terre les bornes de la barbarie, c’est l’Angleterre qui en est seule coupable et responsable. C’est elle qui a « refusé de ratifier la déclaration de Londres. » C’est elle qui « s’est mise à restreindre » le commerce légal des neutres « afin d’atteindre l’Allemagne. » C’est elle qui, afin d’affamer l’Allemagne, a « systématiquement aggravé les dispositions relatives à la contrebande. » C’est un arrêté de l’amirauté britannique, du 3 novembre 1914, en vertu duquel toute la mer dit Nord devait être considérée comme zone de guerre. (Il valait manifestement beaucoup mieux semer de mines toute cette mer, « sans discernement, » comme l’avait fait l’amirauté allemande, et ne pas prévenir, comme l’Allemagne s’était gardée de le faire, ce qui dispensait les neutres de protester.) Par une juste suite de tous ces crimes anglais, et pour leur châtiment, l’Allemagne a été amenée à recourir à des moyens de guerre jusqu’ici inédits, « dont l’emploi n’est pas