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personnelles, se couvrent davantage de pure politique : pour des circonstances comme celles que l’Italie, avec le reste de l’Europe, traverse, et qui exigent la tension de tous ses ressorts, l’emploi de toutes ses énergies, la base du gouvernement est trop étroite : tous les partis, même interventionnistes, ou interventistes, n’y ont point leur place ; ainsi qu’en octobre et novembre, ainsi qu’au premier jour, les socialistes réformistes, les nationalistes, les radicaux en sont exclus ou n’y sont pas admis. Pourtant, s’ils y étaient, s’ils en étaient, le ministère en serait raffermi, rajeuni, et la conduite elle-même de la guerre s’en ressentirait heureusement.

C’est dans une pareille disposition des esprits que les Chambres se sont de nouveau réunies le mercredi 1er mars. M. Salandra, — qui la connaissait, et qui, l’année dernière, au mois de mai, devant des difficultés singulièrement plus graves, avait réussi le coup, chef-d’œuvre de prudente audace, de la démission impossible, — M. Salandra s’est empressé de saisir l’un quelconque des prétextes qu’on lui offrait, il a foncé sur l’obstacle. Il a, hardiment, adroitement, coupé l’herbe sous le pied des socialistes ; il les a empêchés de filer de séance en séance leur opposition perlée. On l’avait accusé de témoigner peu de respect, ou un respect pas assez tendre, au régime parlementaire. Mais quoi ! n’est-ce pas dans l’intérêt du régime parlementaire qu’il se verrait contraint, si les amis de M. Turati ne s’assagissaient pas, de conseiller à la couronne d’user de ses prérogatives constitutionnelles ? Quelles prérogatives exactement ? La prorogation ? La dissolution ? M. Salandra ne le disait qu’en ne le disant pas, par des allusions vagues, qui invitaient ou autorisaient à tout craindre. Le débat spécial que les socialistes voulaient, M. Salandra le jugeait inopportun. Finalement, il fut entendu qu’on s’expliquerait à propos de la poUtique économique du gouvernement, et que cette explication serait accrochée à la discussion du budget d’un des ministères. Le ministre de l’Agriculture, le sénateur Cavasola, s’étant offert au sacrifice, sa bonne volonté a été récompensée par le triomphe. Les annales parlementaires n’ont enregistré que rarement des succès aussi éclatans. La salle de Montecitorio a failli en être ébranlée. Le vénérable vieillard n’a pas même pu constater qu’il avait soixante-quinze ans : « Non ! non ! » lui criaient à l’envi la Chambre et les tribunes qui se refusaient à l’en croire. Sa péroraison s’éteignait à peine, haletante, entrecoupée par l’émotion commune, que déja ses collègues le serraient dans leurs bras ; les députés, escaladant les bancs, se précipitaient pour le féliciter ; le corps penché par-