Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/717

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et le Bulgare, durant quelques mois, elle s’en tenait simplement à l’état de guerre, à une guerre non guerroyée, — guerra non guerreggiata ; — et vis-à-vis du quatrième adversaire, l’Allemagne, elle ne sortait pas d’une réserve légèrement hostile. De là quelque incertitude, quelque obscurité, sinon quelque ambiguïté ou quelque équivoque, et, pour tout dire, quelque malaise.

En octobre et novembre 1915, ce malaise s’est dessiné. Il a couru des bruits de remaniement. L’entrée de M. Barzilaï dans le Cabinet a indiqué le chemin. Pourquoi ne donnerait-on pas aux radicaux la satisfaction d’avoir un ou deux ministres ? Et pourquoi pas aux nationalistes ? Et même, au nom de l’union sacrée, de la solidarité nationale, pourquoi ne pas saisir l’occasion de se réconcilier les giolittiens par une attention à laquelle ils ne sauraient manquer d’être sensibles ? Là-dessus s’ouvre la courte session de décembre, que le garde des Sceaux, l’illustre juriste Orlando, inaugure ou annonce par le discours de Palerme. C’est la semaine où l’Ancona vient de s’abîmer, avec sa pitoyable cargaison d’innocens, d’enfans et de femmes, torpillé par un sous-marin allemand, qui s’est mal camouflé aux couleurs austro-hongroises. L’instant n’est guère propice aux embuscades de couloirs. Les séances se traînent et les intentions agressives se diluent en menues escarmouches sans vigueur. En deux répliques, la seconde très fière et très forte, M. Salandra reconquiert et déblaie tout le terrain. Il enlève une majorité de 300 voix, et le Parlement s’ajourne au 1er mars.

Néanmoins, dans la presse, dans le pays, une campagne continue, plus agaçante que dangereuse. Tout en reconnaissant qu’en son entier le ministère est égal et que, par ses têtes les plus éminentes, il est supérieur b. la moyenne de ceux qui l’ont précédé, on lui reproche une espèce de mollesse ou d’irrésolution, que l’on dépeint d’un assez vilain mot, — una certa fiacchezza. — La gêne qui s’accentue par la durée de la guerre, la cherté de la vie qui augmente, la crise des transports maritimes, la hausse du fret, le manque de charbon, fournissent des argumens spécieux. Si « l’économie nationale » n’est pas plus saine ou plus brillante, la faute en est à celui-ci ou à celui-là : le peuple aime partout à appliquer ses griefs sur une figure, et nous sommes ici dans une ville où la tradition veut que, dès que la pluie tombe, il bougonne : « Governo ladro ! voleur de gouvernement ! » On a loué le Cabinet en bloc, on le critique en détail. Les ambitions vont leur train ; peut-être les jalousies : des passions ou des sentimens qui m’épargnent pas les meilleurs. D’autres objections sont moins