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point de cesse que nous ne l’ayons redécouverte nous-mêmes par nos propres moyens, alors qu’il serait si simple de la viser à l’endroit indiqué. Et quand je parle de planète, je pense à bien d’autres choses plus proches de nous.

Je ne sais qui racontait, il y a quelque vingt ans, l’attitude que prennent respectivement un Français, un Anglais, un Allemand chargés de décrire un chameau : le Français, disait-il, va au Jardin des Plantes ; l’Anglais prend le train pour Marseille et là, le bateau pour l’Egypte ; quant à l’Allemand, il s’enferme dans sa chambre et écrit sur un papier ce titre : Vom Metaphysischen Kameel. L’Allemand a bien changé depuis ; sa métaphysique l’a conduit à la métamorale, si j’ose me permettre ce néologisme, et aujourd’hui, en pareille occurrence, il commencerait par voler un chameau, puis lui ouvrirait le ventre pour l’étudier, quitte à le rendre ensuite à son propriétaire, en réclamant à celui-ci une légitime indemnité pour prix de son dérangement. A notre tour et sans aller aussi loin, nous pourrons regarder parfois pour notre profit les progrès accomplis dans certains domaines de l’autre côté de nos frontières. Nous aurons d’ailleurs la joyeuse surprise d’y retrouver une foule d’idées exportées de chez nous.

Le jour où nous agirons ainsi, le mot de Virgile sera redevenu vrai de nos paysans : Fortunatos nimium... Je crois d’ailleurs que dans ce vers, Virgile n’entendait pas désigner par bona seulement le bonheur des paysans, mais aussi leurs « biens » au sens concret du mot, et que, déjà, il était préoccupé de la question des rendemens agricoles.


CHARLES NORDMANN.