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l’Adjudant Benoit dut arranger et ordonner les préliminaires du roman, les débrouiller de la confusion où les avait laissés l’adjudant ; puis, c’est l’adjudant qui parle et, finalement, tient la plume. Or, « de cette diversité dans le rendu, il résultera, dit le romancier, quelque chose de moins harmonieux que si j’avais remanié l’ensemble, équilibrant les diverses parties, comblant les vides, égalisant l’expression : tâche facile... » Tâche facile à qui a merveilleusement cet art du récit le mieux fait, le plus aguichant pour la curiosité, le plus ménager de l’attention du lecteur et le plus attentif à son plaisir. « Tout ce travail d’ajustage et de polissage, j’aurais pu l’accomplir au cours des soirées que laisse libres et vides, de temps à autre, même en temps de guerre, le devoir militaire et que j’ai consacrées à mettre simplement ces notes en ordre. Par les inégalités du ton, par les heurts et les sautes du récit, le lecteur ressentira mieux, il me semble, ce que j’ai ressenti moi-même en le recueillant. Réalité, vie, le moins d’artifice possible : n’est-ce pas, dans les heures où nous sommes, ce que la plume du conteur doit laisser passer ?... » Le moins d’artifice possible : et ce sont à peu près les mots que Mme Tinayre employait pour indiquer son projet. Il y a là, je ne dis pas, toute une esthétique, du moins l’une des règles que s’imposent la littérature et le roman de la guerre ; et c’est une règle de renoncement, le sacrifice de plusieurs coquetteries, lesquelles avaient leur prix et, à présent, ne seraient pas opportunes. La littérature, elle aussi, accepte et réclame quelque privation, se mortifie et, peut-être, se repent.

Le roman de M. Marcel Prévost, tel qu’il le donne, est l’un de ses meilleurs ouvrages. Quoi qu’il en soit, de la collaboration de l’adjudant ou, en d’autres termes, quelle que soit, dans ce livre, la part tragique de la réalité, l’on y retrouve la manière et la maîtrise du conteur ; et jamais il n’a été si rapide sans brusquerie, clair si aisément : jamais surtout on ne l’avait senti à ce point ému lui-même, pris par son œuvre, et non la dupe, mais l’ami de son héros. La simplification littéraire qu’il a voulue coïncide avec une très heureuse et belle simplification morale. Il s’est épris de cette austérité, qui n’est d’ailleurs ni revêche, ni entachée de pharisaïsme, et qui ne prêche ni ne vilipende, mais qui, franche et nette, pose en principe la rudesse du devoir. Nous sommes loin des vices compliqués et des perversités subtiles que le moraliste de Chonchette et des Demi-Vierges analysait avec complaisance. La faute ici a, pour ainsi parler, de la santé : le crime, le double crime de l’adjudant Benoît, s’il mérite l’indulgence ou la pitié, nulle excuse ne le cache. Les psychologues, il n’y a pas