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allégories, des symboles ou des contes démonstratifs ; mais ils prouvent, sans le dire et sans avoir à le dire, que les siècles avaient préparé la France pour le choc, les longs siècles laborieux, leur habitude et leur croyance ininterrompue.


Les romans très divers de Mme Tinayre et de M. Benjamin, les récits de M. Bazin, romans et récits du temps de la guerre, ont cette analogie, le souci du document vrai. « Aucun de mes livres, écrit Mme Tinayre, ne doit moins à l’imagination et ne comporte moins d’artifice littéraire. » M. Benjamin n’a point à nous avertir pour que nous sentions qu’il a copié d’après nature et en plein air son Gaspard et ses autres « poilus, « ses tableautins de la vie aux tranchées, puis, dans la chambre chaude, ses tableautins de la vie à l’ambulance après que Gaspard est blessé. M. Bazin présente ainsi l’anecdote de Celle qui ne savait pas : « Voici ce que j’ai vu dans la Vendée... » et ainsi l’anecdote du Pointeur : « Voici en quels termes, ou à peu près, un canonnier m’a raconté l’histoire de son camarade Archambaut... » Le littérateur se retire, s’efface et voudrait s’effacer davantage, laisser tout seuls les faits plus beaux, plus pathétiques et attrayans que nulle invention de l’art ; et c’est un hommage que rend la littérature à l’héroïsme, à la vertu, à la douleur : sa timidité est jolie.

« Dans les romans, il y a quelquefois de belles inventions. Mais, dans la vie, il arrive des choses encore plus surprenantes. Si je vous racontais... » M. Marcel Prévost se souvient d’avoir entendu ces phrases-là plus d’une fois : les romanciers reçoivent plus de confidences qu’il ne leur en faut. Mais, dans un hôpital de Versailles, un blessé, taciturne et triste, qui l’invite à sa confession, l’émeut : les mêmes phrases, naguère insignifiantes, prennent un autre accent. Et le plus habile de nos conteurs, le plus adroit à combiner les élémens d’une intrigue et à mener ses personnages au gré de sa fantaisie ingénieuse, humilie volontiers son art ; il renonce à mieux faire que de noter la confession de l’adjudant Benoit. Seulement, ce garçon qui souffrait de corps et d’âme ne fut pas sans retard éloquent, ni même expansif : « Ce fut long, lent, laborieux. Le commencement du récit sortit par bribes, avec des hésitations, des suspens... » La confiance lui vint ; et il s’anima : son visage se détendit et sa parole se dérouilla, comme il en était à la péripétie de son histoire. Enfin, quand le drame allait se dénouer, il manqua d’énergie : « Je n’ai plus de force pour continuer, » dit-il. Et, le dénouement, lui-même l’écrivit avec autant de bonne foi que de chagrin. L’auteur de