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qui hésite : « Mon capitaine, tapez à droite de l’église, sur la pente, une maison couverte en tuiles, avec des murs blancs autour du jardin ; la voyez-vous ?... » Et Archambaut désigne la maison : « C’est la plus grande du bourg ; il y a un étage, il y a quatre belles salles, il y a une cave et du vin dedans : sûr, ils sont là ! Tapez dessus. » Jamais Archambaut n’en avait tant dit... Et il la connaît bien, cette maison ? « C’est la mienne, » répond-il, tout bas. Puis il revint à sa pièce et il se pencha vers son niveau. Quand la bulle d’air fut en place, il annonça : « Prêt ! » L’obus partit... Dans un village de Vendée, il y a une métairie de la Renaudière. La métayère, l’homme à la guerre, se mit à la charrue ; et, au bout du champ, à l’ombre d’un pommier, dormait sa petite enfant. Le temps passe ; et elle n’a pas de nouvelles du métayer. Chaque jour, elle attend le facteur et ajourne au lendemain sa joie, chaque jour déçue. Enfin, les gens du village apprennent que le métayer est mort, près de Namur ; mais ils n’osent pas le dire à la veuve. Tout le village sait qu’elle est veuve, hormis elle. Le maître d’une ferme voisine offrit de herser les guérets ; son valet roulera les labours, « et moi, comme il convient, je ferai la sèmerie. » Ce fut l’automne, le soleil dans les arbres et aux vitres. Un jour, un garçon de quinze ans s’approcha de la métayère et, son chapeau à la main, lui proposa : « Si vous voulez, je gaulerai vos cormes de l’avenue ; et même, avec mes sœurs, je peux bien les mener chez vous... » Elle ne répondit pas ; elle sembla sortir d’un rêve, et tout à coup s’éveiller. Elle regarda la campagne et les gens. Elle dit enfin : « Ils sont tous à vouloir m’aider : c’est que mon mari est mort ! » Il n’y eut, auprès d’elle, que du silence et « l’unanime charité lui avait appris la douleur. » Ces deux épisodes tiennent, l’un et l’autre, en peu de pages. Cependant l’auteur ne s’est pas contenté d’en donner l’esquisse. Mais il n’a pas eu besoin d’un long commentaire, et minutieux, pour nous rendre intelligibles ses personnages, parce qu’il les a empruntés, comme je l’indiquais, à la durée authentique et à la continuité de la vie paysanne. Ils ne nous sont pas étrangers ni étranges. Même dans les circonstances anormales d’une guerre, ils agissent conformément à l’âme que leur a lentement élaborée l’usage de toute leur existence et un usage qui est plus ancien qu’eux. Ce qu’ils font de singulier provient de cette âme, que nous connaissons bien, qui est la nôtre, ancienne chez nous. Et, en toute occurrence, même terrible et imprévue, ils peuvent, comme Archambaut à la minute de bombarder sa maison, sans défaillance, annoncer : « Prêts ! » Les courts Récits du temps de la guerre ne sont pas des