Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/686

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne s’entendra plus guère que lorsqu’un enfant ou un vieux aura à parler aux bœufs pour les faire reculer ou supporter les mouches…


La note la plus inattendue apportée dans le pays l’aura peut-être été par le vieux tisseur.

Avec son inaltérable et pittoresque optimisme, il s’est tout de suite offert pour n’importe quel travail à n’importe quel prix, en vous disant d’un ton bonhomme, avec ses locutions et son accent du Nord :

— Quand on ne sait pas, on apprend… Ceux qui veultent bien faire une chose, ils en viennetent toujours à bout !

Toujours content, il demandait seulement, après son repas de midi, à faire un petit somme à l’ombre :

— Ceux qui sont vieux, disait-il, ils ont besoin de se reposer un instant quand ils ont mangé… Ensuite, ils travailletent mieux !

Et il vous racontait ingénument son histoire :

— Moi, je suis un enfant trouvé, et j’ai toujours été heureux. Un enfant trouvé, n’est-ce pas, ça n’a pas de parens ? Alors, le bon Dieu lui en sert, et l’enfant n’y perd pas toujours. Ainsi, j’ai été élevé par un curé qui me répétait souvent : « Tu peux être tranquille, le bon Dieu ne t’abandonnera pas. » Et le bon Dieu, en effet, m’a toujours protégé. D’abord, bien entendu, j’ai été jeune comme tout le monde, et un jeune homme, n’est-ce pas, ça aime à vivre !… Mais je suis vite devenu raisonnable, et le travail ne m’a jamais manqué. Plus tard, j’ai bien fait une grande maladie, mais j’ai été admirablement soigné. Ensuite, je suis bien aussi devenu vieux, et je n’ai plus gagné autant, mais j’ai fait alors affaire avec ces dames, et tout est encore bien allé…Et puis, la Guerre est venue…Les Allemands… Le bombardement… Et, maintenant, me voilà ici, mais toujours heureux tout de même… Je voyage, je vois du pays, et on n’en voit jamais trop…

À midi, en se mettant à table, il fait d’abord un grand signe de croix, dîne d’un excellent appétit, va se coucher sous un arbre, dort comme un ange un petit quart d’heure, et vous dit ensuite, en se levant tout ragaillardi :

— Là-bas, chez nous, on boit de la bière, et je l’aime bien,