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Toutes les familles ne logent pas dans le bourg, quelques-unes sont dans les hameaux, et l’une de celles-là, M., Mme et Mlle D..., une famille de petite bourgeoisie rurale, occupe le bas d’un petit castel laissé à la garde d’un régisseur. M. D..., possède une connaissance approfondie des travaux des champs, ses trois filles ont reçu de lui une sérieuse éducation agricole, et il exploitait avec elles, au moment de la guerre, une grosse ferme dans le Pas-de-Calais, où la mère de Mme D.,., une vieille femme de quatre-vingt-quatre ans, vivait avec eux.

Le père et la mère, à l’approche des Allemands, s’étaient hâtés de faire partir les jeunes filles, mais n’avaient pas voulu abandonner eux-mêmes leur domaine, où la grand’mère était restée avec eux. L’exploitation comprenait un nombreux bétail, des porcs, des moutons, une basse-cour importante, des chevaux et des cultures de toutes sortes dont on venait de faire la récolte. Les fourrages remplissaient les granges, et les meules de blé couvraient les champs. De tout cela, trois mois plus tard, les Allemands n’avaient absolument rien laissé. Ils avaient mangé le bétail, les troupeaux, la basse-cour, pris les chevaux, vidé les greniers, fait main basse sur les foins et sur les grains, tout enlevé et tout arraché des champs. Il n’y restait plus une meule ni une pomme de terre, et les infortunés D..., complètement ruinés, n’étaient cependant encore qu’au commencement de leur Calvaire !

Un jour, en arrachant les betteraves d’une propriété voisine, des soldats y découvraient quatre mille francs d’or. Leurs officiers soupçonnaient alors M. D..., d’en avoir enterré autant, et le sommaient de leur indiquer où. Il protestait auprès d’eux avec la dernière énergie qu’il n’avait rien caché, et ils consentirent d’abord à ne pas insister, mais ne cessaient plus ensuite de les tourmenter, lui et sa femme, à tout propos. Ou bien, ils les accusaient de dissimuler de la volaille, et la leur réclamaient avec menaces. Ou bien, ils forçaient Mme D... à aller cueillir elle-même, pour les leur donner, les quelques haricots ou les quelques salades qui ne lui avaient pas encore été volés dans son potager, et chaque jour ramenait ainsi une nouvelle persécution.

Les pauvres fermiers manquaient déjà presque de tout et.