Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/677

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ils logeaient dans une auberge où se trouvaient en même temps cantonnés des chasseurs d’Afrique, et un chasseur, un jour, rapportait une tête de shrapnell pour amuser les enfans. Le joujou avait eu le plus grand succès, et les petits garçons ne cessaient plus de faire rouler la petite boule sur la table et sur le plancher, la lançaient, la relançaient, la rattrapaient, et jouaient ainsi sans méfiance, quand elle ricochait un soir sur la pierre d’évier. Une explosion terrible ébranlait alors la maison, et la sœur du fermier poussait un épouvantable cri. Assise près de la cheminée, à la place où elle donnait d’habitude à téter à sa petite fille, elle avait les deux jambes coupées au-dessus des chevilles, un trou au-dessus d’une hanche, un autre à la gorge, et l’enfant avait le ventre ouvert. On se précipitait pour essayer de les sauver, mais tout était inutile. Elles ne donnaient déjà plus signe de vie en arrivant à l’ambulance, et mouraient un quart d’heure après.

Expulsés quelques semaines plus tard de la localité où ce malheur atroce avait eu lieu, comme ils l’avaient déjà été de leur village, réduits à la dernière des misères, et longtemps ballottés d’un refuge à l’autre, les deux beaux-frères, leurs familles et les deux petits orphelins vivent maintenant ici, dans ce coin du Nontronnais, sous le même toit de paysan, mais du moins loin des catastrophes, et devant le même âtre au triste feu, mais dont le pauvre filet de fumée monte en paix sous un ciel où ne sifflent plus les bombes et où n’éclatent plus les shrapnells. Ils ont longtemps erré de pays en pays, couchant dans les étables ou même dans les champs, manquant de tout, perdant l’espoir, et le journalier me dit, en baissant la tête, avec les quelques mots de français qui lui servent à se faire comprendre :

— Triste, la guerre, c’est triste !... Tout mort, tout cassé, tout brûlé !... Tout pris, tout perdu, plus rien !...

Je lui demande s’ils sont contens du pays, et il me répond affirmativement, mais sans élan :

— Contens, oui... Sommes en famille... Mangeons chez nous.. Pas d’obus... Contens, oui, contens...

Et, assis devant la cheminée, il regarde mélancoliquement les cendres pendant que son beau-frère va et vient derrière nous sans nous comprendre. Les femmes sont au lavoir, et les enfans, assis sur le pas de la porte, se montrent, de leurs