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hommes y est déjà rentrée. Les autres se tiennent prêts, et sont attentifs à la direction des obus, avec ce sentiment de sécurité que leur donne la proximité de leurs trous.

Je longe maintenant le petit bois qui me cache encore la route nationale. Au moment où j’arrive au coin, une épaisse colonne de poussière et de fumée se dresse devant moi jusqu’à une hauteur de trente mètres, projetant de tous côtés des éclats et d’énormes mottes de terre. Presque au même instant, une autre colonne de fumée se dresse sur la crête à ma droite. Je suis arrivé au barrage qu’il faut franchir.

J’en ai sans doute le temps, puisque ces gros mortiers tirent généralement à la cadence d’un coup par doux minutes. Mais, où enverront-ils leur prochaine salve ? Sera-ce à la même place, ou bien allongeront-ils leur tir dans la direction de la batterie, ou bien au contraire le raccourciront-ils pour battre les environs de cette ferme qu’ils ont jusqu’à présent épargnée ? Je ne suis qu’à deux cents mètres du colonel A... que j’aperçois debout devant son poste habituel, simple paillote adossée au talus de la route nationale. En quelques instans de trot, je suis auprès de lui, je saute à terre et je jette mes rênes à mon ordonnance pour qu’il ramène mon cheval derrière le petit bois où il sera moins exposé.

Mais il s’est à peine éloigné d’une cinquantaine de mètres qu’il disparait dans un nuage de fumée. Un des obus vient d’éclater sur la berge du ruisseau qu’il suivait. Je distingue un des chevaux qui se sauve. Qu’est devenu le pauvre Loiseau ? Mon inquiétude est de courte durée. Quand la fumée s’est dissipée, Loiseau reparaît, courant derrière le cheval qu’il rattrape et avec lequel il va se mettre à l’abri.

Les obus continuent à tomber régulièrement, annoncés par leur ronflement caractéristique. Ils encadrent notre paillote, sur le toit de laquelle retombent des mottes de terre et des éclats à bout de course. Cette paillote, simple abri contre la pluie, n’offre de protection que du côté où elle s’appuie à la route. Il est vrai que celle-ci forme un remblai escarpé. Aussi toute une compagnie est-elle alignée le long de ce talus qui la protège un peu contre le tir rasant des shrapnells. De l’autre côté de la route, s’élève la ferme où le colonel passe généralement la nuit, et où sont en ce moment installés les téléphonistes, les cyclistes et tout le personnel des agens de liaison. Le colonel