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Les Allemands, eux aussi, nous surveillent, car deux « Drachen-Ballons » s’élèvent sur l’horizon comme deux gigantesques saucisses.

Le soir tombe. Nous rentrons dans notre ferme entourée de factionnaires et d’où nous ne pouvons sortir sans permission. Après le dîner, on apporte des bottes de paille pour les trois officiers d’artillerie qui dorment à côté de nous dans la cuisine. Le capitaine me prévient qu’avec son sous-officier et quelques hommes j’aurai à faire une patrouille au milieu de la nuit. Aussi je m’étends sans tarder. Demain, de grand matin, je serai envoyé en liaison à une division voisine, poste que chacun des lieutenans doit occuper à tour de rôle. Cette guerre de siège ressemble bien peu à celle dont je rêvais la nuit précédente. Mais bientôt, la « marche en avant » va reprendre. Tout ici respire la confiance. Je suis heureux de me trouver sur le front.


20 octobre 1914. — L’autre jour, en rentrant d’une division voisine, j’ai appris que j’avais été désigné par le colonel de mon régiment pour remplacer, à l’état-major d’une brigade d’infanterie, le lieutenant B..., tué à la bataille de la Marne. Cette affectation imprévue va me permettre de mener une existence plus active, puisque la cavalerie ne peut jouer aucun rôle dans la guerre de siège que nous faisons ici. Je vais me mêler à l’existence des fantassins, et pouvoir parcourir tous les jours ces tranchées dans lesquelles nous nous enterrons peu à peu.

Précisément je suis aujourd’hui détaché auprès du colonel A..., commandant un des deux régimens de notre brigade. Son poste de commandement se trouve à la ferme du L..., située sur la route nationale dont la double rangée de peupliers trace une ligne droite au fond de la vallée.

Au moment où je pars, escorté de mon ordonnance Loiseau, mon camarade m’annonce qu’il vient de recevoir la nouvelle de la mort de G... qui, pendant nos deux jours de voyage, avait partagé notre existence. Il est tombé à la tête de sa section, en dirigeant une attaque dans le « Bois en Potence » et on n’a pas pu rapporter son corps. Le pauvre garçon ! Ainsi, ses pressentimens se sont réalisés. Hodie tibi, cras mihi.