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Mon camarade P... et moi sommes affectés chacun à l’un des deux escadrons divisionnaires. Le mien est celui de la ...e division d’infanterie, dont le quartier général se trouve à la ferme de L..., située sur un éperon au delà de cette crête.

Enfin, je vais voir le champ de bataille. Je traverse encore un village, où fourmillent tous les services de l’état-major du corps d’armée, et je demande mon chemin aux divers postes que je rencontre. Il faut suivre une route poussiéreuse assez escarpée, et traverser un petit bois de sapins, à la sortie duquel je découvre un immense panorama.

A mes pieds descendent en pente raide les derniers contre-forts de la falaise calcaire qui borde la vallée de l’Aisne. Sur le pelage roux des chaumes, de petits bois détachent çà et là les teintes de leurs feuillages jaunissans. En face de moi s’étend, de l’autre côté de la vallée, la ligne de hauteurs occupée par les Allemands. Un cycliste qui vient de s’arrêter me les énumère. Voici d’abord les forts du Nord de Reims, tout ce massif de hautes et abruptes collines, qui sont encore entre les mains de l’ennemi. Cette énorme croupe arrondie, c’est le fort de Berru. Plus près, voici le fort de Brimont, le Minotaure qui surveille la campagne. De l’autre côté du canal se trouvent les Allemands, tapis dans leurs tranchées. Nous n’en sommes pas à beaucoup plus de deux kilomètres, mais ils ne donnent pas signe de vie. Un beau soleil réchauffe la campagne. Des femmes travaillent dans les vignes. Sans le passage des avions et le grondement intermittent des pièces de siège, rien ne révélerait que nous sommes sur le champ de bataille.

Je poursuis ma route et passe derrière une batterie placée en position de surveillance un peu en arrière de la crête. Les pièces à moitié enterrées et dissimulées sous des arceaux de feuillage sont invisibles aux yeux des avions. A quelques centaines de mètres plus loin, j’arrive à la ferme de L..., où est installée la ...e division avec tous ses services. Les bâtimens dessinent un grand rectangle, dans un angle duquel se trouve la maison occupée par le général et son état-major. Tout autour sont des hangars sous lesquels on a entassé les chevaux de l’escadron divisionnaire et des équipages de l’artillerie et du train. La cour est encombrée de voitures à bagages, de voilures des postes et d’automobiles du général. Bien entendu, il n’y a pas de place perdue. La petite pièce carrelée dans laquelle je