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soit par réquisition militaire pour les navires anglais et français. Et le trafic de ceux qui restent est déséquilibré par la guerre ; nous avons, en 1915, importé 6 millions de tonnes de marchandises de plus et nous en avons exporté 3 millions de moins. Cette situation a mis en relief une autre contradiction singulière : les ports les meilleurs dans le monde, en Amérique comme en Europe, les ports-modèles, dotés de tous les perfectionnemens ont été aménagés par les grands entrepreneurs français, tandis que nos propres ports français ne sont pas outillés. La cause en est depuis longtemps connue : au lieu de faire des ports pour les bateaux, on a fait des ports... pour les électeurs. Si l’outillage de nos ports est défectueux, cela n’est pas dû à l’insuffisance de la somme globale qui leur a été consacrée ; mais ces sommes considérables, au lieu d’être affectées au parfait agencement de quelques grands ports, ont été éparpillées tout le long du littoral pour la satisfaction de tous les intérêts d’arrondissement. Il en résultait, dès le temps de paix, que les armateurs étrangers appliquaient un tarif de fret plus élevé, lorsque les expéditions se faisaient sur les ports français auxquels ils préféraient Anvers ou Rotterdam. Qui croirait que le port à charbon de Marseille n’est pas relié à la voie ferrée ?

Faute de grues, — quelques-unes à Rouen ne marchaient pas parce que, appartenant à des Allemands, elles étaient sous séquestre, — faute de main-d’œuvre, faute de wagons aussi (il nous en manque 50 000) ou de péniches et de remorqueurs, les bateaux demeurent embouteillés à Rouen, aussi bien qu’à Bordeaux ou à Saint-Nazaire, payant des 5 et 6 francs par tonne de surestarie. L’impôt sur les bénéfices de guerre, que l’Angleterre avait établi pour satisfaire l’opinion publique choquée des gains formidables de l’armement, associa l’Etat à ces gains, mais contribua encore à élever les prétentions des affréteurs. La tonne de charbon anglais, grevée du change de 12 pour 100, du transport maritime et fluvial et de tous les frais accessoires, revient à Paris à 120 francs, c’est-à-dire 67 francs plus cher qu’en 1913.

Seulement, le charbon français coûte moitié moins. C’est pourquoi le consommateur ne paie que 95 francs, et même certains marchanda ont consenti des rabais à la clientèle populaire : la maison Bernot cède en sacs de 10 kilos, à 0 fr. 85 chacun, environ 500 000 kilos par jour de charbon criblé, dont