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3 francs, se voyait menacé de la misère, aucune force humaine ne pourrait maintenir sa marchandise à un taux suffisant pour le faire vivre. On en peut dire autant des cultivateurs qui réalisent en ce moment leurs bestiaux ou leurs fromages à des prix exceptionnels, ou des ouvriers dont la pénurie générale de main-d’œuvre a fait hausser les salaires. Ces privilèges occasionnels sont la contre-partie légitime, pour les uns comme pour les autres, des crises agricoles ou industrielles, des méventes ou des chômages qui sévissent à certaines heures.

Le poisson d’eau douce a, lui aussi, enchéri : les truites de 2 fr. 25 à 5 fr. 50, les brochets et les anguilles de 1 fr. 70 à 2 fr. 75 et 3 francs. La Hollande nous en envoyait avant la guerre et, en revanche, les Allemands venaient à Marseille chercher des anguilles en provenance d’Algérie ; ils les transportaient chez eux en des wagons réservoirs soigneusement aménagés, munis d’un moteur qui, pour aérer l’eau, la pompait sans relâche et la faisait retomber en pluie. L’Allemagne faisait aussi, avec des croisemens français, des élevages de carpes sélectionnées : en France, où le poisson d’eau douce ne représentait qu’un appoint modeste, les 25 000 quintaux introduits en moins (1915) sont peu de chose auprès d’une diminution des deux tiers dans les 500 000 quintaux de morue que nous tirions de l’étranger.

Ce n’est pas à une moindre importation qu’est due la cherté inouïe des vins ordinaires ; bien qu’au contraire de ce que l’on croit généralement et malgré les tarifs élevés de notre douane, la France achète en général plus de vins à l’étranger qu’elle ne lui en vend. Ce haut prix ne tient pas non plus à ce que le sulfate de cuivre, nécessaire à la vigne, ait manqué ; mais il a été employé à d’autres usages et, surtout, l’absence de personnel n’a pas permis de donner au vignoble les soins nécessaires.

Sur une vingtaine de millions d’hectolitres récoltés cet automne, le quart a été payé pour l’armée de 30 à 50 francs suivant le cru et le degré ; les gros négocians bien pourvus de capitaux se sont approvisionnés en hâte, ce qui leur permet de revendre le litre au détail avec bénéfice au-dessous du cours actuel de 80 francs. Cette disette de vin eût suscité un formidable mouvement d’opinion en faveur de la liberté du sucrage des vendanges, qui, dans l’occurrence, eût été profitable à tous,