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son total qui a diminué, c’est sa composition. Un décret du 14 octobre 1915 précédé de mesures analogues prises par les préfets et dont l’observation est assurée surtout par la volonté des éleveurs de repeupler leurs étables, a interdit, sauf dérogations exceptionnelles pour les animaux mal conformés, l’abatage des génisses au-dessous de deux ans et demi. Notre cheptel national comprend aujourd’hui un plus grand nombre d’élèves d’un an et au-dessus, mais deux millions d’adultes de moins qu’avant la guerre. Des réductions analogues peuvent être constatées pour les moutons et pour les porcs ; à continuer ainsi, nous » mangions, » au sens propre du mot, notre capital-bestiaux, dont la reproduction normale ne saurait suffire à une consommation accrue. Or, il n’était pas possible de songer à réduire cette consommation supplémentaire qui, avec l’importance des effectifs sur pied, dépasse de 300 000 tonnes, c’est-à-dire de 50 pour 100, celle du temps de paix.

On songea aussitôt à la viande frigorifiée. Les grandes villes des Etats-Unis n’en connaissent guère d’autre, et l’Angleterre, qui possède d’ailleurs les races de bétail les plus sélectionnées, importe annuellement 700 000 tonnes de viande congelée et réfrigérée, parce que, en Angleterre, les intérêts du consommateur, — qui est le nombre, — ont toujours primé ceux du producteur. Il n’en est pas ainsi dans notre république démocratique, où le socialisme à rebours (le socialisme propriétaire) opérant en vue de la hausse ou du maintien des revenus fonciers, et contre l’abaissement du coût de la vie, jouit de la faveur du Parlement. Le Parlement donna l’an dernier une preuve nouvelle de cette disposition, en rejetant la proposition qui lui était faite de conclure un achat ferme de viande frigorifiée dont la livraison à l’Etat, garantie par des importateurs solvables, devait s’échelonner sur une période de plusieurs années.

L’affaire était vaste, — il s’agissait de 900 millions de francs, — elle n’était pas mauvaise, puisque, aux prix actuels, cette même quantité de viande coûterait maintenant 1 200 millions. S’il est vrai que la conclusion d’un semblable marché eût permis à certains de griveler quelques menus courtages, ou de s’embusquer dans de vagues emplois, qu’importe auprès du bénéfice public et de l’assurance pour le pays d’une fourniture nécessaire, que nul ne consentirait à risquer sans un