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veau, de mouton, suivant qu’il s’agit d’animaux sur pied ou abattus, de Paris ou de la province, du printemps ou de l’automne, de la vente en gros ou en détail, des qualités extra ou inférieures, et, pour le même animal, suivant son mérite et la place du. morceau, le kilo de viande varie du simple au décuple ; il se voyait avant la guerre, à Paris, du « bœuf » à 4 francs et à 30 centimes.

Les mêmes disparités existent entre les diverses races de bétail et les diverses régions. Aujourd’hui où les bêtes à cornes se vendent à merveille, les bêtes à laine dans le midi de la France sont encore à bas prix ; les marchés sont encombrés de moutons de cheptel provenant de propriétés abandonnées par les métayers, que la rareté et les exigences des bergers découragent.

Sans reproduire pour nos lecteurs les amples mercuriales officielles de la capitale, où sont prévues pour le « gîte à la noix » et le « milieu de paleron, » quatre qualités distinctes, je me contenterai d’observer que rien absolument ne caractérise à première vue chacune de ces qualités pour les profanes et que, si les prix auxquels elles correspondent étaient obligatoires, — ils ne le sont pas, ce sont de simples indications, — rien n’empêcherait les bouchers astucieux de ranger dans la qualité première ce que les tables administratives appellent « la viande troisième, » sans que le client pût se plaindre, ni même s’en trop apercevoir avant d’avoir sous la dent le corps du délit. Les ménagères, qui n’achètent ni par demi-bœufs, ni par moutons entiers, mais sous forme de beefsteaks ou de gigots, le consommateur de toute catégorie qui s’inquiète peu des cours des marchés et des abattoirs, constate que la viande, qui avait augmenté de 1901 à 1913 d’environ 20 pour 100, a de nouveau haussé depuis le commencement de la guerre en moyenne d’un bon quart, avec cette particularité que nous allons observer pour toutes les denrées et même pour toutes les marchandises : le premier choix a moins enchéri que le commun ; sans doute que le luxe était moins demandé et que la hausse générale obligeait l’acheteur à se rabattre en tout sur des qualités ordinaires.

Ne nous y trompons pas cependant : la cherté actuelle est l’indice très consolant de notre richesse. S’il ne s’agissait que d’alimens somptueux que se disputent quelques privilégiés, la