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Et, dans la nourriture elle-même, les proportions sont aussi variables pour chaque aliment en particulier : ainsi le pain, sur 100 francs de dépenses de la table ouvrière ou paysanne, absorbe en moyenne 40 francs ; mais il n’exige pas plus d’une quinzaine de francs chez les privilégiés de la classe laborieuse, tandis que les familles nombreuses et misérables, qui ne mangent guère autre chose, consacrent au pain jusqu’à 90 pour 100 de leurs frais alimentaires.

Plus heureux que nos ennemis, nous pouvons nous féliciter, dans l’intérêt du plus grand nombre, d’avoir de bon pain à discrétion et de ne pas le payer trop cher. Non qu’il soit taxé, — les taxes ne servent de rien contre la rareté, — mais parce que les grains sont en abondance. Le pain, qui avait beaucoup enchéri depuis une quinzaine d’années, passant à Paris de 0,33 c. le kilog. en 1900 à 0,43 c. en 1913, est une des denrées qui ont le moins haussé depuis la guerre ; le prix du pain de quatre livres n’est aujourd’hui supérieur que de deux centimes, à Paris comme en province, à ce qu’il était la veille des hostilités.

Que ce prix relativement bas soit un peu artificiel, il n’importe ; nous louerons les auteurs de cet artifice. La récolte française de froment avait été inférieure en 1914 à celle des trois années précédentes ; celle de 1915 fut plus basse encore : si nous défalquons du total la dizaine de départemens plus ou moins occupés par l’ennemi où nous ne possédons que des résultats incomplets, — au lieu d’un apport global de 18 millions et demi de quintaux que ces dix départemens fournissaient en général à la récolte nationale, c’est à peine si dans les portions demeurées à l’intérieur de nos lignes, ils en ont recueilli 8 millions en 1915, — et si nous comparons, dans les soixante-dix-sept départemens restant, le froment engrangé l’an dernier (56 725 000 quintaux) à ce qu’il était en moyenne dans les trois années antérieures à la guerre, il apparaît une différence en moins de 12 millions de quintaux.

M. Dariac, dont la compétence est connue, évaluait en 1915 à 18 pour 100 la proportion des terres qui « paraissaient devoir être abandonnées ; » il semble bien que jusqu’ici les faits ont donné raison à ces prévisions que l’on estimait pessimistes : les ensemencemens en blé de l’automne dernier, comparés à ceux de l’automne 1913, — déduction faite aux deux dates des départemens