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manque des derniers perfectionnemens de la science moderne, — et de l’élégance. Mais le sentiment donne à toutes choses une âme nouvelle : la flore picturale des vitraux qui continuait celle qu’entretiennent à grands frais les jardiniers de Komaroff, me semble aujourd’hui non un décor factice, mais un bouquet vivant jailli des blessures pourpres sous le scalpel des chirurgiens.

Il est midi. Sous le péristyle devant le jardin, des officiers sont étendus, enveloppés de couvertures et exposés aux rayons d’un pâle soleil. Lorsque le froid les obligera à se réfugier dans la maison bien close, ils pourront s’étendre sous les longues galeries vitrées que l’on chauffe et d’où la vue domine la ville et plonge sur les jardins.

— Nous avons ici des sourds, des paralysés, me dit un jeune docteur qui nous accompagne ; quelquefois même des muets. Jusqu’à présent, ces derniers ont tous recouvré la parole après quelques mois de traitement par l’électricité. En votre qualité de Française, vous apprendrez sans doute avec plaisir que nous appliquons ici le système d’Arsonval.

En même temps, le jeune docteur fait jaillir devant moi les étincelles des machines, met en marche les courans, me montre comment on donne les bains...

— Je tiens à vous faire voir un cas curieux, me dit-il. C’est celui d’un jeune soldat qui dort depuis son retour du front, c’est-à-dire depuis plus de cinq mois. Il se réveille à demi pour manger, prévient la sœur qui le soigne en agitant une petite sonnette placée sous son oreiller, prend son repas et se rendort. Il n’a pas encore prononcé une parole.

— Voulez-vous parier, dis-je, qu’indigné des horreurs allemandes il attend pour se réveiller le jour de la victoire ?

Le jeune docteur sourit.

— Peut-être. En tout cas, si votre prophétie se réalise, je serai heureux, madame, de vous le faire savoir.

L’hôpital des tétaniques (25 lits) est, en temps de paix, une caserne de hussards. Par hygiène, les murs en ont été recouverts, du haut en bas, avec des carreaux de faïence blanche. Les malades atteints de convulsions y sont isolés dans de petites chambres également carrelées de blanc.

En l’absence du docteur, le colonel interroge la Sœur et consulte les livres.