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« Il tient comme à un principe à l’Église nationale : peut-être qu’il n’est pas chrétien ; à coup sûr, Pinget est protestant. »

Le juriste Hornung pronostiquait, ou peu s’en fallait, que Genève cesserait, le progrès aidant, d’être expressément chrétienne, mais il n’admettait pas que la bâtisse religieuse, créée par Calvin sous les enseignes du Christ, disparût. Le dogme calvinien n’était plus qu’un souvenir ; les enseignes du Christ, peut-être, ne seraient bientôt plus qu’un lambeau ; mais la bâtisse devait durer. Et l’on ne peut lire ces développemens de Joseph Hornung en faveur de l’édifice calvinien traditionnel sans songer à la cité antique, et sans évoquer ces esprits de la Rome païenne qui, ayant cessé de croire à leurs Dieux, consolidaient cependant les vieux cultes, comme des emblèmes et peut-être, qui sait ? comme de mystérieuses protections pour la ville. Après avoir affranchi Genève de son évêque au nom de l’individualisme religieux, Calvin l’avait magistralement subjuguée en l’encadrant d’une puissante armature ecclésiastique. L’individualisme subsista, progressa, finissant par ébranler, dans une âme comme celle de Joseph Hornung, la confiance au Christ. L’armature aussi subsistait, fort lézardée sans doute, mais toujours en place ; et parce que patriote, Joseph Hornung, périodiquement, adossait à cette armature ses opuscules, comme de robustes étais. Il ne doutait pas que le Christ fût bientôt par terre ; mais Genève-Eglise, elle, serait toujours debout.

Les débats suprêmes concernant la séparation, cette séparation que redoutait un Joseph Hornung, jetteront une nouvelle lumière sur la psychologie unique et complexe du vieil Etat genevois, qui avait fini par confondre le citoyen et le fidèle. A force de s’identifier avec l’Église de la Réforme, le vieil Etat genevois, même envahi par le catholicisme, même défiguré par Fazy, voulait, encore et toujours, que cette Eglise continuât de régner officiellement, de régner, tout au moins, à titre d’Eglise patriotique et municipale, alors même que le Christ aurait cessé de régner sur la majorité des consciences individuelles, bureaucratiquement inscrites dans la confession réformée.


GEORGES GOYAU.