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bien Fazy : il avait tour à tour, dans la presse parisienne, bataillé contre Charles X, bataillé contre Louis-Philippe ; il fût assurément devenu, s’il se fût laissé retenir par la France, l’un des protagonistes de l’année 1848. Mais il se donnait pour lointaine mission de régner sur une Genève transformée ; et la transformer, cela consista, pour lui, à réagir contre les altérations dont Calvin avait été l’ouvrier. Il se fit donc historien pour éplucher le passé de la vieille Genève ; et il déclara que Jean Calvin, par son absolutisme dogmatique, avait bridé plutôt que développé l’esprit des Genevois, qu’il s’était mis en lutte ouverte avec l’ancienne Constitution genevoise, qu’il avait fondé une République de contrainte, une République à la Spartiate, étroite et sombre. Et Fazy témoignait son regret pour les libertés genevoises du Moyen Age, qu’avait sapées Calvin ; et il dessinait le plan de la façon démocratique dont Calvin aurait dû organiser son Eglise, s’il avait voulu tenir compte des mœurs et des aspirations de Genève. Après Calvin réformateur politique, Calvin réformateur religieux était traduit à la barre, et censuré.

Puis là-dessus, Fazy s’interrompait ; son œuvre historique demeurait inachevée : jamais le tome second ne vit le jour. Mais elle allait recevoir un autre achèvement : elle fut continuée, sanctionnée, couronnée, par l’œuvre politique de Fazy.

L’Essai d’un Précis de l’Histoire de la République de Genève annonçait implicitement l’orientation que Fazy, au jour où il serait chef, imprimerait à cette République. Or, en 1846, Fazy devint chef : appuyé sur le quartier Saint-Gervais, il attaqua la majorité patricienne qui, malgré les bouleversemens de 1842, avait pu se maintenir dans les Conseils ; il l’accusa de trop de complaisances pour les cantons catholiques de la Suisse, qui venaient de conclure entre eux la ligue du Sonderbund, et qui revendiquaient le droit d’avoir chez eux des Jésuites. Le sort de Loyola en Suisse dépend de Calvin, disait plaisamment Guizot, qui constatait que dans la Diète fédérale les représentans (le Genève pouvaient faire pencher la balance pour ou contre les Jésuites. Le quartier Saint-Gervais ne voulut pas que Calvin sauvât Loyola. Le 10 octobre 1846, le patriciat démissionna, descendit des cimes où depuis si longtemps il s’était hissé, et laissa Genève à elle-même, c’est-à-dire à Fazy.

Le gouvernement provisoire constitué par cet heureux