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dans un autre coin de la ville, une voix de prophète, qui, tel Jonas à Ninive, annonçait aux Genevois la plus grave des cata- strophes et l’appelait presque comme un châtiment. C’était la voix de Malan. Rome est aux portes, disait Munier. Oui, clamait Malan, Rome est aux portes ! et Malan, messager du Dieu qui punit, accablait Genève de ses douloureux sarcasmes :


Si la génération qui va nous suivre est semblable, hélas ! à la nôtre, si elle ne lui devient pas supérieure et qu’elle ne compte aussi que peu, très peu de chrétiens, une effrayante majorité d’ariens, et de déistes, et de moqueurs, et s’il en doit être ainsi de nos enfans, viens, viens seulement, ô Rome ! et ne tarde plus ! Viens donc, toi qui dévores, et que la Réforme périsse enfin sous tes serres !


Sur les lèvres de l’apôtre du Réveil, partisan de la séparation, se dressait le spectre du péril romain, comme il se dressait sur les lèvres du pasteur Munier, adversaire de la séparation. La démocratie genevoise, en tant qu’organisme politique, recelait des élémens qui représentaient Rome : contre ce fait politique, aucunes douleurs, si éloquentes fussent-elles, ne pouvaient prévaloir ; et les événemens de 1847 allaient aggraver encore et ce fait et ces douleurs.


VII

La vieille discipline calvinienne n’avait pas survécu à la Révolution et à l’Empire ; le dogme calvinien n’avait pas survécu à la philosophie du XVIIIe siècle. La Constitution politique de l’Etat calvinien, où les tendances aristocratiques avaient lentement aboli la vieille démocratie du Moyen Age, allait à son tour achever de péricliter. En 1838, sous la signature d’un publiciste genevois, James Fazy, était paru le premier tome d’un Essai de Précis sur l’Histoire de Genève. L’auteur conduisait cette histoire jusqu’à la Réforme ; et la conclusion de ce volume, c’était un procès politique contre Calvin. L’historien protestant Galiffe venait de verser, un peu pêle-mêle, dans le dossier de la Réforme, toutes sortes de documens nouveaux ; Fazy, que son tempérament même portait à prendre contre Calvin le parti des libertins, trouvait, dans Galiffe, de quoi meubler son réquisitoire.

L’opposition de gauche, dans la. France de 1830, connaissait