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de blancheur sous la neige tombée. C’est celle des Sœurs de Charité. Du côté qui regarde la voie, le tuyau d’un poêle, surmonté d’un chapeau conique en tôle, perce la paroi de la tente ; et l’on grelotte en songeant à l’insuffisance probable de ce mode de chauffage sous ce frêle abri.

En face du bois est l’entrée, fermée par une couverture de laine disposée en rideau. Des femmes, traînant des enfans accrochés à leurs jupes, rôdent à l’entour, — des réfugiées, attirées par l’inépuisable charité des sœurs. D’une main hésitante, j’ai soulevé la couverture : tout est noir et silencieux à l’intérieur. Cependant, à mon appel, une voix d’homme répond et m’invite à entrer. Les sœurs sont absentes, et l’homme, un soldat-infirmier, prépare le dîner pour leur retour. Dans cette obscurité à laquelle mes yeux commencent à se faire, je distingue à présent une table chargée d’objets disparates, le poêle dont on aperçoit le tuyau du dehors, quatre couchettes de fer, rangées deux par deux contre la paroi de toile et un paravent placé entre la porte de la tente et les lits. Une épaisse couche de paille jonche le sol.

Tout à coup, le rideau de la tente se soulève, et la Sœur Aînée (la directrice) entre, vêtue de son costume de front. N’était son brassard de la Croix-Rouge, on la prendrait pour un jeune moujik avec sa touloupe en peau de mouton, ses grandes bottes de cuir, son bonnet de fourrure, dont les poils défrisés tombent jusque sur ses yeux et cachent ses oreilles et son cou.

Nous nous sommes déjà rencontrées à l’ambulance, ce qui nous permet d’abréger les formules de présentation.

Il est bientôt quatre heures, et la Sœur Aînée n’a encore rien pris depuis son café du matin. Elle arrive du village de X... d’où elle a ramené une petite fille et des paysans blessés par des bombes allemandes. L’enfant sera conduite à notre train où je la trouverai tout à l’heure.

Tout en causant, la sœur a quitté sa touloupe et je retrouve une femme, pas très jeune, mais au regard très clair, au sourire très bon et très doux. Trois décorations, dont une gagnée sur ce front et les deux autres sur les champs de bataille de Mandchourie, ornent sa poitrine.

Le soldat-infirmier apporte, dans une petite marmite, la soupe et le bœuf, et la sœur s’installe sur un coin de la table, en femme qui a décidément renoncé à toute espèce de confort.