Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/548

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

papiste, préviendra certains oublis, réchauffera certaines colères. « Dans la Rome protestante, s’écriera douloureusement Chenevière, tout le monde est libre de servir Dieu quand et comme il l’entend, tous, sauf nous, anciens Genevois ; » et quand Chenevière sera châtié par le Conseil d’État et pour six mois exclu des chaires de Genève, beaucoup l’acclameront comme une sorte de héraut de la vieille Genève, protestant et pleurant au cœur de la nouvelle.

Et ce sont ces mêmes Genevois, tenacement attachés au passé, infatigablement provocans à l’endroit de leur siècle, qui fonderont, en 1843, l’Union protestante, société mystérieuse dépendant d’un conseil central mystérieux ; cette Union tâchera d’entraver le libre établissement des catholiques ; elle prônera, pour enrayer le péril, des moyens moraux, comme la conversion de ces catholiques au protestantisme, et des moyens matériels, consistant à remplacer insensiblement les ouvriers et domestiques catholiques par des protestans, à empêcher par des prêts l’émigration des Genevois calvinistes, à favoriser l’immigration d’étrangers appartenant à la Réforme.

Sur cette colline, au XVIe siècle, une cité des âmes, une sorte de patrie morale, avaient prétendu s’installer ; en 1814, la colline s’était comme élargie, mais la cité des âmes avait été entamée, la patrie morale avait été pénétrée par des élémens qu’elle se sentait hétérogènes. Et cela fera souffrir, presque jusqu’à nos jours, bien des âmes de vieux Genevois, sans même que cette souffrance résulte, nécessairement, d’une intolérance spéciale contre le catholicisme. Tel pasteur, comme Borel, qui se rapprochera à certains égards de la foi de Rome, et qui ne s’en cachera pas, gardera toujours cependant, au fond de son âme genevoise, une désolation secrète devant ce spectacle chaque jour plus inévitable et plus visible : Genève Etat mixte.


IV

Cet Etat, de nouveau, se déclarait uni à l’Eglise réformée, et de nouveau il proclamait son pouvoir sur l’Eglise réformée ; mais il comptait désormais dans ses conseils quelques catholiques, représentans des communes nouvelles, et ce chiffre de catholiques pouvait s’accroître. Des catholiques allaient-ils donc régner sur le fonctionnement intérieur de l’établissement protestant ?