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Avant que ne fût encore fixée la superficie de la République de Genève, le patriciat qui avait restauré cette République fit voter vertigineusement, sans laisser au peuple le droit de l’étudier, une constitution. Des lois éventuelles y furent adjointes, qui, par une curieuse méthode, mettaient l’art mathématique au service de l’intolérance. Elles stipulaient que si les citoyens dont on pressentait l’annexion n’égalaient pas le tiers de l’ancienne population, ils seraient admis à égalité des droits électoraux ; que, s’ils égalaient le tiers, ils ne pourraient nommer qu’un cinquième des membres du conseil représentatif ; que, s’ils surpassaient le tiers, ils n’en pourraient nommer qu’un quart ; et que, s’ils surpassaient la moitié, ils n’en pourraient nommer qu’un tiers. Etranges chinoiseries, par lesquelles la vieille Genève protestante prétendait s’assurer à l’avenir la majorité dans les conseils, alors même que la population catholique qui lui serait adjugée aurait un chiffre d’habitans cinq ou six fois supérieur à celui de Genève elle-même.

Genève protestante s’inquiétait à la pensée que des Savoyards, des catholiques, pourraient devenir, chez elle, membres du corps souverain. Mais, inversement, les consciences catholiques, consciences de rois, consciences de peuples, s’éveillaient et se troublaient, h-la pensée que des paroisses catholiques allaient être attribuées à la République genevoise. Louis XVIII éprouvait toutes sortes de scrupules à céder à cet Etat protestant le catholique pays de Gex, et, finalement, Louis XVIII le gardait. Dans les communes savoyardes, une pétition circulait, représentant à la démocratie helvétique que la conduite constante de Genève envers les Savoyards et les catholiques n’était pas de nature à faire espérer des relations de confiance et de fraternité. Enfin Vuarin, par ses relations avec Noailles, avec Metternich, avec Pozzo di Borgo, combattait le démembrement de la Savoie, et du moins il obtenait que sa petite patrie, Collonges-sous-Salève, ne devint pas genevoise.

Anxiétés protestantes et anxiétés catholiques s’épiaient mutuellement, se mesuraient du regard, et, pour des raisons inverses, elles convergeaient en définitive vers le commun souci d’empêcher que Genève ne devînt trop grande. Protestans qui ne voulaient pas que le peuple de Dieu fût comme dissous dans un Etat non confessionnel, catholiques qui redoutaient de devenir les sujets du peuple de Dieu, semblaient conspirer ensemble,