Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/533

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


I

Le 15 avril 1798, Desportes, résident de France, faisait occuper Genève par des troupes françaises. Vingt-quatre heures plus tard, deux délégués des pasteurs arrivaient chez lui, le priant de conserver l’Eglise telle que jusqu’alors elle avait existé. Il fut bienveillant, « donna les assurances les plus positives, » et réclama un mémoire écrit. En trois jours, le mémoire fut rédigé, et expédié à Desportes.

« Une fatalité incroyable souffle sur nous, gémissait le syndic Butin. La Compagnie des pasteurs n’a-t-elle pas écrit au Résident, sans en prévenir le gouvernement, une lettre pour lui recommander le culte ? N’a-t-elle pas, dans cette lettre, parlé du vœu de la réunion comme si c’était les citoyens qui l’eussent prononcé ? La plume me tombe des mains, quand je vois des pasteurs oublier leurs supérieurs et se mêler de faire des démarches séparées, quand je les vois river leurs chaînes et celles de leurs concitoyens par la démarche la plus irrégulière et la plus inconsidérée. »

Ce gouvernement dont parlait Butin, et que les pasteurs n’avaient pas prévenu, n’était autre que la commission extraordinaire qui, depuis quelques mois, régissait Genève ; et cette commission, dès le lendemain de l’entrée des Français, faisait, de son côté, œuvre très efficace pour l’Eglise, en déclarant les biens de la République « biens communaux indivisibles entre les citoyens actuels et leurs descendans, » et en décidant qu’ils seraient administrés par une Société économique, composée de quinze Genevois, laquelle dirigerait les établissemens relatifs à l’éducation et au culte réformé. Sous cette inoffensive raison sociale, Société économique, se constituait le retranchement qui, durant la sévère période de centralisation napoléonienne, devait en quelque mesure garantir l’autonomie et sauvegarder l’intégrité du peuple de Dieu. Grâce à la Société économique, les ressources de l’Eglise, les ressources de l’Académie, ces deux créations de Calvin, étaient à l’avance protégées contre toute ingérence trop indiscrète de la grande puissance qui s’installait dans Genève : l’Eglise, l’Académie allaient demeurer, tout à, la fois, les bénéficiaires et les garantes de ce qui restait de libertés genevoises.