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parlementaires, ils savaient qu’on peut introduire dans une loi, soit lorsqu’on en prépare le texte, soit au moment de la discussion en troisième lecture, des clauses perfides qui en dénaturent l’esprit et en détruisent la portée.

C’est ce qui fut fait pour la loi d’obligation. A côté de motifs d’exemption dont la justice est indéniable, on y fit passer deux stipulations qui ouvraient la porte aux échappatoires et aux faux-fuyans. La première concernait les « indispensables, » ceux dont le départ eût désorganisé les services publics. La seconde permettait aux conscrits d’invoquer une « objection de conscience, » un scrupule religieux qui ne leur permettait pas de verser le sang. L’article relatif aux indispensables était élastique et pouvait prêter à bien des interprétations. A ce propos, je vois que, dans un comté du Nord, quarante fermiers se sont présentés à l’audience de la Cour de justice et ont déclaré qu’ils ne pouvaient entreprendre et mener à bien les travaux de la campagne, si l’on n’exemptait du service militaire leurs manœuvres : sur quoi, un délai de six mois a été accordé aux ouvriers agricoles de la région. Cette décision sera-t-elle confirmée par l’autorité militaire à qui il appartient de prononcer en dernier ressort dans ces questions ? J’ai lieu de croire que non, si je m’en rapporte aux récentes déclarations du gouvernement dans la Chambre des Communes.

Quant à l’objection de conscience, elle donne lieu aux plus vives récriminations. Il y a un grand nombre d’années, on a accordé aux quakers, lorsqu’ils ont à témoigner devant la justice, la faculté de substituer une affirmation au serment sur la Bible. Cette concession, dont on a fait grand bruit autrefois, me semble toute simple, car l’affirmation d’un honnête homme vaut mieux que le serment d’un coquin qui baise dévotement un vieux livre. Quoi qu’il en soit, c’est ainsi que s’est introduite dans le langage légal cette formule de l’objection consciencieuse qui vient de reparaître inopinément pour fournir un refuge aux poltrons désireux de se soustraire à l’accomplissement du devoir patriotique. Cette objection a donné lieu et donne lieu, tous les jours, devant les tribunaux, à des discussions dont le côté grotesque ne fait pas disparaître entièrement le côté odieux. On demande à l’un de ces objectors : « Que feriez-vous si, devant vos yeux, un assassin massacrait votre femme, votre mère ou votre enfant ? » et la réponse a été : « Je