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en magasin. En effet, depuis que tous les navires étaient en péril, le prix du fret avait considérablement monté et s’ajoutait à celui des denrées elles-mêmes. Comment l’ouvrier ne se serait-il pas ému de cette menace directe à son budget et à son bien-être ?

A ce moment, c’est-à-dire vers la fin de l’été 1915, les Allemands se sont crus en mesure d’employer leurs zeppelins à une action décisive contre l’Angleterre. Une seule fois, ils ont réussi à détruire une fabrique de munitions. En général, c’est la population civile, les personnes et les propriétés qui ont été atteintes. Comme l’a dit M. Balfour au Parlement, le nombre total des décès causés par les attaques de la flotte aérienne allemande reste inférieur aux pertes d’une seule journée de bataille en France ou d’un seul paquebot torpillé en mer. Mais, pour la première fois, depuis le commencement de la guerre et, je puis l’ajouter, depuis plusieurs siècles, l’Angleterre éprouvait l’horrible sensation du fer dans la plaie, connue seulement des nations envahies. La guerre cessait d’être un spectacle lointain, elle devenait une réalité prochaine et terrible. C’était bien là ce que se proposaient nos ennemis, mais ils s’étaient trompés grossièrement sur le point le plus important : ils se figuraient intimider les Anglais au point qu’ils demanderaient merci et accepteraient la paix la plus défavorable. Ils ont produit, tout au contraire, un mouvement de furieuse indignation et ils ont rendu inévitable l’adoption, jusque là douteuse, du service obligatoire qui n’est pas sans leur causer à eux-mêmes une vive inquiétude, comme leurs journaux en font foi. Cette campagne des zeppelins n’a donc pas été seulement une action abominable, entreprise au mépris des lois de l’humanité et même des lois de la guerre, elle a été une fausse et stupide manœuvre dont nous serions tentés de nous réjouir lorsque nous en voyons le résultat.

Cependant, il a fallu traverser encore une dernière phase avant d’arriver au vote définitif de la loi. C’est celle où l’on a mis en pratique le Derby scheme qui en est la préface. Voici en quoi il consistait. On disait à peu près ceci aux hommes de dix-neuf à quarante ans : « Vous allez être appelés au service, les circonstances l’exigent pour l’honneur et la sécurité du pays. On prendra d’abord les célibataires ; les hommes mariés viendront ensuite. Un dernier délai vous est accordé pour transformer