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par la suppression des relations économiques avec l’Allemagne. Je me rappelle un ménage dont la situation était curieuse. Le mari tenait à Londres une boutique de librairie et, sa clientèle spéciale ayant disparu, il était sur le point de faire faillite. Pendant ce temps, sa femme faisait des affaires d’or en louant des appartemens meublés dans une ville maritime. Lorsque ses appartemens étaient vides, le gouvernement y logeait les soldats de la Défense des Côtes, en lui payant pour leur nourriture une somme assez considérable pour donner lieu à un sérieux bénéfice. Dans cet ordre d’idées, il ne faut s’étonner de rien. On sait que l’économie n’est pas la qualité caractéristique du gouvernement anglais et qu’il a été souvent accusé par les réformateurs, notamment par lord Randolph Churchill, de prodigalité et de gaspillage. Je crois que l’Etat n’a jamais dépensé plus largement que pendant les premiers mois de la guerre.


Los choses ont marché ainsi jusqu’à l’été de 1915. Les listes de morts et de blessés qui paraissaient dans les journaux rappelaient seules à la population que l’Angleterre était engagée dans une guerre meurtrière. L’aspect de Londres n’était pas sensiblement changé, sauf dans la soirée, mais la police traitait avec beaucoup d’indulgence les manquemens aux règlemens qui limitaient l’usage du gaz dans les boutiques et dans les maisons. C’est un des points sur lesquels il est le plus difficile d’amener l’Anglais à se réduire. Il répand des torrens de lumière dans les moindres recoins de sa demeure, de façon à former autour de son logis une sorte d’atmosphère lumineuse.

Les théâtres et les music-halls restaient ouverts ; les journaux étaient bourrés d’annonces et la poste de chaque matin apportait à peu près la même quantité de paperasses, circulaires et prospectus, sans oublier les lettres insidieuses de ces industriels qui sont toujours prêts à obliger un gentleman dans l’embarras. Depuis qu’une flotte allemande avait bombardé Scarborough, les plages de l’Est étaient presque abandonnées ; mais celles de la côte Sud étaient à peu près aussi animées qu’elles le sont d’ordinaire, à pareille époque. J’y ai trouvé en mai et en juillet des légions d’enfans creusant des tranchées dans les sables et des groupes de jeunes filles vêtues de blanc des