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Quand on le lit attentivement, on n’aperçoit pas bien ce que ce mémorandum du 8 février 1916 changeait ou ajoutait à la déclaration du 4 février 1915. L’Allemagne, il y a un an, fit savoir à tous ceux qu’il appartiendrait « qu’à partir du 15 février prochain (1915) elle considérerait comme zone militaire les régions maritimes qui touchent à la Grande-Bretagne et à l’Irlande ; et qu’à partir de cette date les navires de guerre allemands de tout genre détruiraient tout navire qu’ils rencontreraient dans ces eaux, même s’il n’était pas possible de sauver l’équipage et les passagers, et qu’aucune garantie ne serait accordée aux navires neutres. » Ses ambitions ont grandi, avec les sous-marins de M. de Tirpitz. Elle rêve d’amplifier colossalement la sphère de sa malfaisance. Elle ne cache pas que sa marine possède à présent des engins perfectionnés qui pourront, sans se ravitailler, faire le trajet de New-York et retour. L’avertissement n’est pas galant, mais il est clair. La zone dangereuse ne sera donc plus limitée au voisinage des Iles Britanniques : tout l’Océan et tous les Océans, s’il ne dépend que de l’Allemagne, deviendront inhabitables. Elle les frappe d’interdiction. La place nous manque aujourd’hui pour exposer, comme nous l’aurions désiré, cette question capitale de la police des mers, de la liberté et de la sécurité des neutres. Les prochains attentats de l’Allemagne nous y ramèneront nécessairement. Pour l’instant, les neutres sont prévenus : s’ils ne veulent pas faire la mauvaise rencontre de l’Allemagne et de ses œuvres, qu’ils restent chez eux ; qu’ils ne confient surtout ni leurs personnes, ni leurs biens, à des navires marchands « armés » des nations en guerre contre l’Empire allemand. Armés, ces navires le seront, même s’ils ont à l’arrière ce qu’on nommait autrefois une coulevrine, ou un fusil de bord, la pièce la plus faible, la plus impuissante, de quoi effrayer une bande de requins ; ils seront armés, même sans armes, si l’Allemagne soupçonne et décide qu’ils le sont. Elle est l’Allemagne, il suffit : son caprice est la loi du monde.

Par bonheur, « le vieux Dieu » qui l’a faite terrible la fit encore plus maladroite. Redoutant de ne point avoir en M. Wilson un ami assez complaisant, elle a songé aux bons germanophiles, aux bons progermains du Congrès. Elle les a priés de déposer au Sénat et à la Chambre des représentans une motion invitant le Président à conseiller aux citoyens américains de ne pas s’embarquer et de ne pas embarquer de marchandises sur des navires armés, sous peine de perdre la protection du drapeau. M. Woodrow Wilson a saisi la balle au bond. Quelle étourderie aussi, ou quelle témérité, d’appeler sur le terrain de la procédure parlementaire l’auteur du Gouvernement