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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




Nous avons, ces dernières semaines, vécu de grandes heures. De toute la masse de ses divisions d’élite, de tout le poids de son artillerie lourde, de toute la puissance de sa chimie destructive, de toute la rage, en un mot, de la fureur teutonique, l’armée allemande s’est ruée contre Verdun. Nous étions prévenus depuis quelques jours. L’Empereur, et tel ou tel des princes confédérés, avaient de nouveau proféré des paroles truculentes devant l’Allemagne qui les supporte, annonçant comme prochaine « la plus formidable bataille que l’histoire ait jamais vue, » ajoutant que l’Allemagne avait 200 000 vies à y dépenser. Ces discours de hauts personnages sont rarement de simples extravagances. De Hollande, de Suisse, on signalait d’incessans mouvemens de troupes, une énorme accumulation de matériel. Nos services de renseignemens suivaient pour ainsi dire de nuage en nuage l’orage, bientôt tempête, puis cyclone, qui s’amassait, se fixait, crevait. Dès le 15 février, nous attendions, précisément là où elles ont sévi, les rafales des 105, des 210, des 305, des 380 et des 420. Il n’y a donc pas eu de surprise. Les Allemands sont venus. Nous les avons vus venir. Ils n’ont pas vaincu.

Le bombardement a commencé le 20, un dimanche (Guillaume II est plein d’attentions pour le « vieux dieu » germain, que réjouissent les hécatombes), sur un front d’une dizaine de lieues, de Montfaucon, en Argonne, à Étain, dans la Woëvre. Nos tranchées et les forts au Nord de Verdun furent donnés pour cibles à un feu d’enfer : la ville elle-même, devenue un vrai « nid à obus, » dut être, par ordre, vidée de ses derniers habitans. A partir de ce dimanche matin, l’action s’engage et se développe, implacable. Une vague allemande accourt, se brise en une écume de sang ; une autre vague suit, déferle, s’écroule, recule ; mais d’abord la marée avance ; elle gagne, du 21 au 26 février,