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indomptable. Le malheur est que son courage soit trop souvent dépourvu d’initiative. Le soldat russe a besoin d’être conduit ; mieux il est conduit, plus il déploie d’ardeur et d’intrépidité à se battre. Il éprouve, au fond de l’âme, une vénération presque religieuse pour ses chefs ; et d’ailleurs tout soldat russe est profondément religieux. Fidèle, franc de cœur, et d’une générosité sans pareille, jamais il ne se résigne à abandonner un ami ; il est vrai que, d’autre part, je crains fort que jamais il ne pardonne à un ennemi. Il peut être d’une dureté implacable pour ceux qu’il déteste ; et pourtant, dans son humeur ordinaire, on aurait peine à trouver quelqu’un qui ressente plus de répugnance naturelle à verser le sang. Excellent mari, avec un amour passionné des enfans, il est lui-même un grand enfant que son ami, ou bien encore son officier, mènera toujours à son gré où il lui plaira... Que l’on ajoute à cela une vigueur corporelle splendide, et une faculté d’endurance dont n’approche sûrement aucune autre race civilisée. Le soldat russe peut marcher et combattre, par exemple, avec des rations de nourriture si maigres et si mauvaises que nul autre soldat européen ne consentirait à s’en accommoder. Un bon nombre des régimens où j’ai servi ne recevaient, pendant plusieurs journées, absolument pas d’autres vivres que du thé et du biscuit.


Quant au soldat allemand, que M. Morse s’est également trouvé à même d’étudier de très près, l’opinion finale de notre auteur anglais à son endroit diffère naturellement, sur plus d’un point, de celle qu’il avait naguère emportée de Kalisz. C’est chose incontestable, par exemple, que les troupes allemandes « savent mieux se battre » que bon nombre des Russes, avec une « méthode » et une « discipline » infiniment supérieures. Mais, par-dessous tout cela, il y a décidément toujours, au fond de la nature allemande, quelque chose de bas et, en vérité, d’ « animal. » Jusque dans sa bravoure, l’Allemand n’apporte pas « cet élément de générosité » que nous font voir les autres nations. « Il est cruel dans sa victoire, et devient aussitôt d’une lâcheté répugnante à l’instant de la défaite. » Son instinctive « joie de nuire, » — cette Schadenfreude qui n’a d’équivalent dans aucune autre langue, — se traduit à tout moment, sur son passage, par des traits comme la mise à mort, par un jeune et élégant officier prussien, d’un couple de canaris appartenant à la petite fille de certains notables polonais. L’officier, poliment accueilli dans la maison qui lui était assignée pour résidence, s’était, de son côté, montré tout aimable ; mais ensuite, avant de partir, — et malgré la hâte d’un départ commandé par la soudaine approche d’un régiment de Cosaques, — le brillant capitaine avait pris la cage de l’enfant de ses hôtes, et s’était diverti à tordre le cou des deux canaris. Le lendemain encore, la petite fille pleurait ses chers oiseaux ; et M. Morse ajoute qu’il pourrait