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forces de corps et d’esprit à combattre la « bête féroce » allemande ; et sans doute il aurait continué de la combattre jusqu’à la fin de la guerre, si l’obligation de se cacher durant des semaines dans les bois et les marécages de la Prusse Orientale, — après avoir réussi à s’échapper de mains ennemies qui déjà s’apprêtaient à le fusiller, — ne l’avait mis décidément hors d’état de servir. — Et combien je regrette de ne pouvoir pas, du moins, traduire ici les quelques chapitres où n nous raconte les péripéties de sa captivité et de son évasion, avec ce mélange savoureux d’observation pittoresque et de bonhomie qui, tout au long de son livre, nous le fait apparaître comme un digne héritier de l’école « littéraire » d’un sergent Bourgogne ou d’un capitaine Coignet !

Mais surtout ce livre du volontaire anglais, avec l’admirable accent de franchise « radicale » qui en ressort pour nous à toutes les pages, nous offre la portée d’un sûr et solide « document » historique. M. Morse a beau pousser à un degré malaisément croyable la déformation de tous les noms propres qu’il lui arrive de citer, — en telle sorte que nous le voyons, par exemple, servir successivement sous les ordres de généraux appelés Jowmetstri, Krischelcamsk, et Tunreshka, pour devenir enfin le familier d’un chef qu’il va nous présenter toujours, depuis lors, sous le nom fantastique du « capitaine Folstoffle ; » — je doute qu’il se trouve jamais un autre historien qui nous révèle d’une manière à la fois aussi précise et aussi détaillée la physionomie authentique des mémorables opérations militaires où il lui a été donné de participer.

Son récit nous fait assister, notamment, à une demi-douzaine de grandes batailles dont j’imagine que l’on pourra sans trop de difficulté reconstituer plus tard le véritable nom, et qui, dès maintenant, se déroulent sous nos yeux avec une netteté quasiment « cinématographique. » Sans compter l’intérêt incontestable des jugemens de ce témoin éminemment impartial sur les mérites et les défauts « professionnels » des différentes catégories de soldats russes au milieu desquels il a eu à vivre. Écoutons-le, simplement, nous résumer l’impression générale que lui a laissée son année de séjour à l’armée commandée alors par le grand-duc Nicolas :


Le soldat russe, pris dans son ensemble, est une créature superbe, mais sans que je puisse aller jusqu’à dire qu’il est un combattant de premier ordre. C’est d’ailleurs chose extrêmement malaisée, de le définir comme il faut. On nous l’a représenté maintes fois comme soumis d’avance à tous les coups du sort : cela est vrai, mais à la condition d’y joindre un courage