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temps et de tous les pays. Pour ne parler que des chefs-d’œuvre littéraires (vers ou prose), de ceux du moins qui tiennent en peu de mots, rappelez-vous le « per arnica silentia lunæ » ou le « majoresque cadunt… » de Virgile ; de Chateaubriand, « le grand secret de mélancolie, » ou la « cime indéterminée des forêts ; » de Victor Hugo : « La chaste obscurité des branches murmurantes » ou bien encore : « J’aime les soirs sereins et beaux, j’aime les soirs. » Et nous allions oublier le plus beau, le plus serein de tous, et le plus fameux, celui que Dante, « grande âme immortellement triste, » a chanté : « Era già l’ora che volge il disio... » De celui-là même, aucun trait ne manque au « soir » rossinien : ni la cloche pleurant le jour qui se meurt, ni les « naviganti » que nous verrons bientôt, comme disent les librettistes, moins poètes que Dante, « sur les flots s’ouvrir, avec leurs rames, un chemin qui ne trahit pas. » Ce chef-d’œuvre, qu’à l’Opéra jadis on ne traitait pas même en hors-d’œuvre (l’exécution en était horrible), se compose de trois brèves strophes mélodiques écrites sur de médiocres versiculets. Encore n’y a-t-il ici qu’un écart entre les paroles et la musique. Le plus souvent, dans Guillaume Tell, c’est un abîme, nous l’allons montrer tout à l’heure. Strophes mélodiques, avons-nous dit, mais harmoniques également, dont la mélodie invariable est colorée, à la fin, par des accords et des modulations trois fois renouvelées, de nuances qui changent, se dégradent et s’éteignent comme les teintes mêmes du soir. On le sait, le charme, l’enchantement des dernières mesures, véritablement ravissantes, n’est égalé que par leur incorrection. Faute, sans doute, mais heureuse faute, et qui peut se défendre. Gounod la justifiait en ces termes, techniques il est vrai, mais que nos lecteurs musiciens nous sauront gré de rappeler : « Jamais ce passage n’a choqué ou ne choquera l’oreille de qui que ce soit. La succession des quintes (outre celle des octaves) y est cependant affirmée quatre fois de suite dans une série d’accords parfaits ayant tous pour basse leur note fondamentale... Mais, remarquons d’abord que cette succession des quatre accords parfaits d’ut majeur, si majeur, la mineur, sol majeur, ne détourne pas une seule fois l’oreille de la tonalité de sol majeur, qui est celle du morceau. Première raison qui empêche les quintes successives de choquer l’oreille. Supposons que le troisième accord eût été la majeur au lieu de la mineur, la tonalité était rompue. Quant au deuxième accord, celui de si mineur, il est, comme dominante de mi mineur, parfaitement tonal en sol.

« Il faut remarquer de plus que la présence des quatre octaves de