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Ce qu’il y avait d’abord d’admirable en lui, c’était l’apparence physique, la taille haute et souple, la noblesse sculpturale des lignes, jointe à l’élégance et à la grâce des mouvemens. Il était fait pour porter le costume et les plus riches costumes et les plus pittoresques, ceux de la Renaissance, ceux de l’Espagne ou de l’Orient, à moins que ce ne fût celui qui les efface tous : la draperie antique. Il poussait jusqu’à la perfection cet art de se costumer : rien qu’à le voir entrer en scène, tout le personnage s’évoquait aussitôt avec toute son époque, comme dans un tableau de maître. La voix était splendide, si chaude, si colorée, emplissant aisément de son volume toute une salle, avec des notes d’une étonnante profondeur et aussi des intonations charmantes, d’une douceur infinie, qui ravissaient connue une caresse. On était conquis, gagné, remué, on échappait aux platitudes du monde réel ; on entrait avec l’enchanteur dans le monde des illusions généreuses et des rêves splendides.

Il vivait chacun de ses rôles, il était le personnage qu’il représentait et dont il avait fait passer l’âme en lui. Jamais le « paradoxe du comédien » n’a reçu plus formel démenti, et jamais acteur n’a plus véritablement éprouvé tous les sentimens qu’il traduisait. Cela explique qu’il ait été inégal, non pas d’un rôle à l’autre, mais d’un soir à l’autre dans le même rôle. Je lui ai entendu dire qu’il jouait pour lui, uniquement pour lui, pour se satisfaire, et sans jamais y parvenir. Le rôle qui lui était le plus familier, il l’étudiait encore et cherchait à y progresser. La centième fois, il le jouait comme s’il ne l’avait jamais joué. Est-il besoin de faire remarquer, après cela, que son jeu était très personnel ? Pour se l’assimiler complètement, il fallait qu’il modelât le rôle à sa ressemblance. Pour vivre le personnage, il fallait qu’il pût continuer d’y être lui-même.

Ses qualités naturelles, son exubérance méridionale, son lyrisme, — cette jeunesse qu’il a conservée jusque dans les derniers temps, jusqu’à l’époque où il accomplissait ce tour de force de continuer, presque aveugle, à tenir la scène, — tout le destinait à être, par excellence, le jeune premier romantique. Il l’a été avec une séduction incomparable. Il a été Hernani, le jeune amant, le pâtre héros, le bandit généreux, le proscrit sublime. Il a été Ruy Blas le rêveur, le ver de terre amoureux d’une étoile. Il a été Gérald, cet autre Roland. Et plus que tous il a été leur adorable aîné, le chef du chœur, celui à qui Pierre Corneille avait soufflé sa grande âme : il a été le Cid avec son ardeur, son emportement, ses enthousiasmes, et son prodigieux amour et ses élans chevaleresques et son charme vainqueur.