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qui travaillent comme des démons ; » les journées sont chaudes, mais les nuits sont délicieuses. Les femmes sont d’une beauté qui passe l’imagination : pas une villageoise, pas une savetière qui ne soit d’une figure à rendre jalouses les filles d’honneur de la Reine. Aussi, avec quelle violence on les aime ! « Vous saurez qu’en ce pays-ci on ne voit guère d’amour médiocre : toutes les passions y sont démesurées. » Jules Lemaître se demande si plus tard, quand il nous montrera les terribles amoureuses de son théâtre, Racine ne se souviendra pas des Hermione et des Roxane à foulard rouge de ce brûlant pays d’Uzès ; et, parce qu’il est homme de goût, la remarque une fois faite, il n’insiste pas... M. Adrien Bertrand a imaginé, comme c’était son droit, que Racine s’ennuie dans son exil languedocien et qu’il a pris en horreur cette nature trop éclatante, ce paysage trop ensoleillé, ce ciel trop implacablement bleu ; il se souvient d’autres campagnes au charme plus discret et plus nuancé ; il revoit Port-Royal, son grand cloître,


Les étangs, les jardins, les tonnelles, les bois,
Et le vallon voilé d’angoisses salutaires,
Où la mère Angélique, avec les solitaires,
Passait en robe blanche et la croix au milieu...


Et c’est tout le décor où s’est encadrée son enfance, qui s’évoque dans son âme nostalgique :


Les sentiers parfumés de violette rose,
La discrète grandeur des troubles horizons.
Et la blancheur qui vêt la robe des maisons
Sous le sombre bonnet de leurs vieux toits d’ardoise,
La subtile senteur des foins et de l’armoise,
Les ondulations si souples des terrains,
La courbe des coteaux au bord des cieux sereins,
Les lointains ouatés, leur vague transparence.
Toute la pureté de notre Ile-de-France...


Ces vers donnent assez bien l’idée de la manière qui est celle de M. Adrien Bertrand : un peu trop de fleurs, de ciels roses et de soirs roux, mais de la grâce, de l’harmonie, des images brillantes, un souffle généreux de lyrisme. Tant y a que tout rappelle Jean Racine à Paris, capitale de l’art dramatique. Mais alors Mariette ? Qui est cette Mariette ? Une fille ingénue qui s’est éprise du poète parce qu’il a vingt ans, parce qu’il est beau, et parce qu’il dit d’une voix si caressante des choses si tendres ! Il est clair qu’elle ne peut le