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la tendresse. Et depuis dix-huit heures, leur cœur est comme saturé d’affectueuses émotions. Ils ont besoin de répondre et ils sont trop troublés pour parler. Alors, ces hommes, qui ont tout enduré et tout traversé, éprouvent qu’il est doux, quelquefois, de pleurer.


Durant toute la cérémonie, de groupe en groupe, des femmes se sont glissées, s’approchant d’un rapatrié, l’interrogeant anxieusement, à voix basse.

— Savez-vous s’il y a parmi vous un soldat qui revient de tel camp ?

Ou bien :

— Vous êtes de tel bataillon... pouvez-vous me dire si un soldat de telle compagnie se trouve parmi vous ? Il saurait peut-être quelque chose de un tel...

Un tel... le fils, le mari, dont on n’a pas de nouvelles depuis tant de mois... Oh ! le pauvre espoir qui tremble dans chaque syllabe !...

Ou bien :

— Vous êtes de la même compagnie que mon fils... Savez-vous quelque chose de sa mort ?

Le soldat qui riait a brusquement cessé de rire. Il réfléchit. Il remue ses souvenirs. Ah ! comme il voudrait donner une indication à cette mère en deuil, savoir quelque chose, faire revivre un instant devant elle son mort glorieux... Il ne sait rien, ils étaient tant ! Mais ne voulant pas qu’elle désespère, il l’adresse à un camarade :

— Celui-ci saura peut-être...

Et cet après-midi, demain, à l’hôpital où les rapatriés prennent un peu de. repos avant de repartir, des femmes viendront se pencher sur leurs lits, les questionnant l’un après l’autre.

Quelquefois, des certitudes sont données. Par le récit d’un camarade, une mère apprend que son fils, porté disparu, a été revu mort, après le combat.

On ne peut plus oublier ces questions angoissées, ces regards qui implorent et qui tremblent de savoir, et les yeux du petit soldat soudain remplis de filiale pitié.

Ils savent désormais, ceux-ci. Ils ont appris la compassion.