Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est pas par respect pour le droit, pour la conscience, pour la loi du monde civilisé qu’elle s’arrête ; c’est par intérêt et par peur, parce qu’elle sent que sa doctrine, au lieu de terroriser et de dompter l’univers, est menacée de faillite et de ruine, que tout d’un coup elle s’interrompt. Ce n’est ni le remords, ni la lumière tardive de la vérité qui opèrent cette conversion ; c’est l’impuissance d’aller plus loin, le nec plus ultra dressé soudain devant son inutile fureur.


V

Plus encore peut-être que son ignorance et son mépris de l’âme, des idées, sentimens, aspirations des peuples et des États, ce qui caractérise l’Allemagne présente, l’Allemagne de ce dernier quart de siècle (de 1890 à 1915), c’est surtout la parfaite suffisance, sérénité ou inconscience avec laquelle elle est demeurée insensible ou plutôt étrangère à l’esprit du temps (Zeitgeist), à cette sorte de fonds et de patrimoine commun d’une génération, à cette atmosphère intellectuelle et morale dans laquelle se meuvent les contemporains et qui, d’une façon générale, est ou semblait être à peu près la même sous toutes les latitudes. Il faut, à cet égard, faire exception pour l’Allemagne qui, précisément sans doute parce qu’elle s’était elle-même fabriquée et réorganisée de toutes pièces, parce qu’elle se considérait comme la nation supérieure et élue, ne s’est plus souciée de rester en communion avec les autres peuples. Elle n’appartenait plus que de nom et d’apparence à une civilisation qu’elle croyait vraisemblablement avoir dépassée, dont elle retenait encore cependant les bénéfices et avantages, mais à la condition de s’affranchir de tout ce qui, dans cette civilisation, pouvait être pour elle une gêne ou un obstacle.

Pour qui évoque et se représente avec quelque précision la façon dont l’Allemagne a préparé cette guerre, dont elle l’a déclarée, dont elle l’a faite, il est clair qu’elle n’avait plus, qu’elle ne se reconnaissait plus de commune loi et mesure avec les autres nations, qu’elle ne se sentait plus liée par le code moral et international de l’humanité, que toutes les acquisitions faites, tous les progrès accomplis à l’honneur de la race humaine étaient à ses yeux comme nuls et non avenus, qu’elle était vraiment au-dessus de tout, über alles, non plus seulement le