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erreur a été de ne pas voir que, dans chacun des trois pays, il y avait des forces de résistance, des ressources d’énergie, et, entre les trois pays eux-mêmes, une solidarité, une union étroite, qui ne les laisserait pas isolément exposés aux menaces d’une provocation germanique. L’Allemagne en était venue à tellement identifier l’idée de l’ « organisation » avec celle de la préparation mécanique et matérielle, qu’elle n’attribuait plus d’importance et de valeur aux forces morales, aux liens et engagemens entre États, aux traités. Elle se figurait que la seule entrée en scène et en jeu de sa puissance organisée suffirait à contenir ou à dissoudre la coalition d’Etats qui, n’étant pas géographiquement contigus ou similairement préparés, ne résisteraient pas à un choc dont la violence serait égale en soudaineté implacable à celle d’une catastrophe physique, d’un cataclysme de la nature. Elle croyait avoir, par l’organisation et la science, de même que par l’élimination de tout scrupule de conscience, de morale et de droit, porté l’exécution de ses desseins à un tel degré d’infaillible certitude que l’hypothèse même d’une résistance, à plus forte raison d’un échec, était exclue.


III

Parmi les calculs que ne troublait pas la considération de la conscience, de la morale et du droit, était la liberté que l’Allemagne s’accordait de disposer, dans l’exécution de ses plans, non seulement de ce qui ne lui appartenait pas, mais de ce qu’elle s’était solennellement engagée, par contrat signé et scellé avec quatre autres Etats, à respecter elle-même, plus encore à garantir. Son plus grand crime, mais aussi sa plus grande faute, sa plus grave erreur de psychologie, a été la violation de la neutralité de la Belgique.

Les Pays-Bas avaient été constitués en 1814-1815, la Belgique avait été maintenue en 1830, non certes de par la volonté des Belges, mais par la diplomatie de l’Europe, comme une barrière contre la France. Il se trouva, quarante ou cinquante ans plus tard, que, le péril d’hégémonie ayant changé de camp, la barrière opposée à la France commença à -être considérée par l’un des membres de l’ancienne alliance comme une tentation ou facilité de passage. Le comte de Bismarck en 1870 avait trop perfidement dénoncé les prétendus projets de la France, il