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lourdes et tassées, semblent se tramer comme des esclaves sous les cercles d’or qui distendent le lobe de leurs oreilles et qui surchargent leurs poignets et leurs chevilles. La simple bande de toile dont elles sont vêtues forme une étroite jupe, qui tombe par devant jusqu’à leurs pieds et qui, relevée par derrière, découvre leurs jarrets. Les plus élégantes le sont moins encore que ces Brahmes qui vont le front haut, les regards au-dessus de toutes les têtes, éventant leur menton d’une feuille de palmier. Tous ces êtres passent sans bruit. La plupart sont pieds nus : les sandales des autres ne s’entendent point. Le sable ne crie que sous les roues des petites charrettes attelées de zébus. La marche épuise vite l’Européen. Des villages d’une vingtaine de chaumières se succèdent. On arrive à une ville qui n’est qu’une agglomération de villages, mais populeux et bruyans. Les marchands accroupis au milieu de leurs épices, les pâtissiers au milieu des mouches lancent leurs appels. Le cuivre retentit sous le marteau du ciseleur, et le fer sur l’enclume du forgeron. Les porteurs de palanquin crient. Des files de chameaux et des éléphans refoulent la multitude ondoyante. Et que de prêtres ! Que de pèlerins ! Nous sommes dans une des régions les plus superstitieuses et les plus miraculeuses de l’Inde. Un des cinq plus grands sanctuaires, dédié à Siva, celui dont on rapporte une céleste béatitude, s’élève à Ramesvaram sur le chapelet de récifs qui relie Ceylan à la péninsule. Les temples et les monastères écrasent les fau- bourgs avec leurs coupoles, leurs portes pyramidales, leurs escaliers de granit usés par des millions de pieds nus et qui mènent à des dieux et à des monstres barbouillés de cinabre. Mais partout, on rencontre de petits pagotins qui ressembleraient à nos chapelles rustiques si, à travers leurs barreaux, n’apparaissait la figure animale d’un dieu. La nuit, les gens ont peur. L’Hindou redoute les ténèbres qui s’abattent si rapidement sur lui. Les nuits de l’Inde ont parfois une splendeur de pierreries et souvent une noirceur d’encre.

C’est dans cette contrée que François erra pendant plus de deux ans. Sa vie fut plus dure que celle d’aucun des missionnaires qui vinrent après lui et dont pourtant les labeurs nous remplissent d’admiration. Il allait à pied sans faire cas des rayons du soleil. Il se nourrissait d’un peu de riz qu’il cuisait lui-même et qu’il assaisonnait d’eau du poivre, d’un peu de