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raconte qu’ils firent leurs oraisons devant des peintures de saints couronnés de diadèmes, dont quelques-uns avaient des dents si longues qu’elles leur sortaient bien un bon pouce de la bouche, et particulièrement devant une image où ils crurent reconnaître la Sainte Vierge. Mais l’un d’eux, Jean de Saa, ému de leur laideur, fut saisi d’inquiétude, et, se mettant à genoux, dit : « Si cela est un diable, je n’entends toutefois adorer que le vrai Dieu. » Le capitaine l’entendit et se retourna vers lui en riant. On n’avait pas tardé à démasquer le démon dans ces faux dieux. L’Inde était devenue aux yeux des Portugais le vaste empire de Satan. C’était lui qui se faisait adorer au fond des pagodes sous la forme d’une idole à la tête de veau, au milieu de filles qui dansaient toutes les nuits en tenant des lampes allumées. C’était à lui qu’on dressait des autels où venaient boire les serpens. Il déchaînait des sabbats dont les initiés accomplissaient tous les crimes contre nature que flétrit le Lévitique. Et, selon son habitude d’abêtir les créatures qu’il avilit et de mêler la dérision à la dépravation, il leur apprenait à tracer sur leur front, ce front humain qui se lève naturellement vers le ciel, les signes de la plus honteuse impudicité.

Toutes les impuretés du paganisme, qu’avaient dénoncées les Pères de l’Eglise, vivaient, croissaient, multipliaient sur cette terre brûlante. Lorsque l’historien anglais Whiteway, ancien fonctionnaire de l’Inde, nous déclare que les Hindous étaient plus civilisés que les Portugais, de quels Hindous parle-t-il ? Les Vichnouistes étaient-ils plus chastes que les Goanais, et les féroces Sivaïstes moins cruels ? Les adorateurs de Kali, les sectateurs de la Main Gauche, ne poussaient-ils pas plus loin que tous les autres peuples la passion, le délire des rites obscènes et sauvages ? De temps en temps, des voix s’élevaient à Goa contre les iniquités. Mais, depuis mille ans, aucune voix ne s’était élevée dans l’Inde contre le mépris ignominieux des parias. Et même quand l’Inquisition fonctionna chez les Goanais, les bûchers qu’elle alluma ne consumèrent pas autant de victimes en un siècle que ceux du Malabar n’en dévoraient en un an. Quel monstrueux chaos de peuples que cet énorme pays qui portait indifféremment d’abjects sauvages et de grands artistes, des barbares et des métaphysiciens, et, comme le dit un autre Anglais, sir Alfred Lyall, quelle jungle de superstitions depuis