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moins pittoresques que les autres. Cependant, leurs impressions concordent avec les plaintes des missionnaires. Mais, quand on lit les récits de ceux qui, cent ou cent cinquante ans plus tard, connurent le Batavia des Hollandais, on y retrouve les mêmes scandales : mêmes débauches de luxe, mêmes dames parées comme des châsses et que leurs servantes soutiennent pour passer d’une chambre à l’autre, même inhumanité envers les esclaves, mêmes exactions, même déséquilibrement des âmes, qui prouve qu’elles ont besoin, comme les corps, de s’acclimater à ces pays de feu. Et les Goanais nous paraissent moins noirs, car il ne faut pas oublier qu’il y eut parmi eux de très nobles figures et que, s’ils péchaient fortement, ils se repentaient parfois aussi fortement.

Ni le soleil de l’Inde, ni l’ardeur des concupiscences n’avaient tari dans tous les cœurs la charité chrétienne. On donnait de l’argent aux églises, aux hôpitaux, aux fondations pieuses, et, n’eût-ce été que pour gagner des indulgences, cette générosité montrait du moins qu’ils éprouvaient le besoin de se racheter. Leur première conquête avait eu des airs de croisade ; et, tout en travaillant à s’enrichir, ils gardaient toujours un vague désir de travailler au salut des âmes païennes. Dès l’année 1500, les Franciscains avaient repris la route des Indes où leurs frères du XIIIe et du XIVe siècle avaient laissé leurs os. Je ne donnerai pas, d’après le Père Da Soledade, le chiffre des rois, reines et princes du sang qu’ils avaient convertis, des pagodes qu’ils avaient renversées, des sectes qu’ils avaient détruites, car ce chiffre est trop beau et augmenterait dans des proportions trop mélancoliques celui des défections. La vérité est que ni ces religieux, malgré leur ferveur, ni les prêtres séculiers, souvent mal recrutés, n’étaient capables de soutenir l’ambition apostolique du roi de Portugal. Ils voyaient très peu clair dans la masse obscure des peuples hindous. De l’Inde ou plutôt des Indes, qui continuaient de vivre leur vie mystérieuse et anarchique sous les dominations superficielles des Arabes et du Grand Mogol, lequel était un Turc, ils ne connaissaient que ce qu’ils en apercevaient de leurs escales et de leurs comptoirs.

Lorsque les compagnons de Vasco de Gama étaient entrés à Calicut persuadés, sur la foi d’anciennes traditions, que l’Inde était peuplée de chrétiens, une foule immense les conduisit au plus grand temple ; et le vieil historien des Indes, Castanheda,