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15 mai.

Au Sud-Ouest de Nancy est un petit pays qui s’appelle Ménil-sur-Belvitte. Jusqu’ici l’histoire a ignoré ce nom, mais le jour viendra où il sera connu.

Ménil-sur-Belvitte est un village aux confins des Vosges. II est bien ravagé, car on s’y est battu avec frénésie dans le premier mois de la guerre. Les maisons sont dans un bas-fond, derrière lequel le terrain s’élève et forme un plateau couvert de champs de blé, aboutissant à des pentes boisées. C’est le champ de bataille par excellence, tel qu’il est décrit dans les livres d’histoire. Et c’est bien une réelle bataille, à ciel ouvert, comme dans le bon vieux temps, qui a eu lieu ici. Les Français y repoussèrent les Allemands, mais leur victoire leur coûta cher, et des milliers d’entre eux tombèrent dans les champs de blé dévastés.

L’église du Ménil est une ruine, mais le presbytère a survécu. Le curé nous y reçut et nous mena dans une chambre qu’il a transformée en chapelle. Cette chapelle est aussi un musée de guerre. Tout ce qui s’y trouve a rapport à la rencontre qui s’est déroulée dans les champs de blé : les candélabres de l’autel sont faits avec des obus de 75, l’auréole de la Vierge est un rayonnement de baïonnettes, et les murs sont ornés tant de trophées enlevés aux Allemands que de reliques françaises. Au plafond, le curé a fait peindre une sorte de carte zodiacale de toute la région, dont le hameau de Ménil-sur-Belvitte est l’astre principal, Verdun, Nancy, Metz et Belfort n’en étant que d’humbles satellites. Mais la chapelle n’est qu’une des formes du culte passionné que porte le curé aux glorieux morts. C’est sur le champ de bataille qu’il l’a véritablement exercé. Le combat terminé, il consacra ses soins aux longues rangées de tombes fraîches, les entoura de barrières, y planta des fleurs et de jeunes sapins, marqua soigneusement les noms de ceux qui y reposaient et la date à laquelle ils avaient succombé.

En allant à Ménil, nous nous arrêtâmes au village de Crévic. Les Allemands y sont venus au mois d’août 1914, mais ils n’ont rien saccagé, sauf le château. Il est situé dans un parc au bout du village et appartenait au général L…, un des meilleurs soldats de France et l’ennemi le plus redouté des Allemands en