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gnages de l’invasion : c’étaient les pitoyables ruines du village d’Auve.

Ces sourians villages de l’Aisne se ressemblent tous, avec leur grand’rue bordée de maisons aux bois apparens, les hauts toits de leurs granges et leurs pignons tapissés d’espaliers. On s’imagine donc facilement ce que pouvait être Auve, sous la lumière bleue de septembre, au milieu de ses vergers mûrissans et de ses récoltes blondes se déroulant jusqu’à un horizon de collines boisées. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un chaos de gravats et de scories. À peine peut-on distinguer la place qu’occupait chaque maison. Nous avons vu, par la suite, bien d’autres villages ravagés ; mais Auve était le premier. Peut-être est-ce pour cela que nous y fûmes, plus qu’ailleurs, hantés par la vision de toutes les angoisses, de toute la terreur et de tous les déchiremens que représentent les ruines de la plus chétive bourgade. De tous les mille et un petits souvenirs qui rattachent le passé au présent, — photographies accrochées aux murs, buis bénits pendus au crucifix, lettres écrites d’une main malhabile et lues avec effort, robes de mariées pieusement gardées au fond de vieilles malles, — de tout cela il ne reste qu’un tas de briques calcinées et quelques bouts de tuyaux tordus par l’incendie…

En consultant notre carte, aux environs de Sainte-Menehould, nous constatâmes que derrière la ligne des collines parallèle à la route, à 12 ou 15 kilomètres au Nord, les deux armées étaient aux prises. Mais nous n’entendions pas encore le canon, et rien ne nous révélait le voisinage très proche de la lutte, quand, à un détour de la route, nous nous trouvâmes en face d’une longue colonne de soldats vêtus de gris. C’étaient des prisonniers qui s’avançaient vers nous entre deux rangs de baïonnettes. Ils venaient d’être pris : jeunes gars vigoureux, bâtis pour le combat, ne paraissant, hélas ! ni affamés ni exténués. Leurs larges visages blonds étaient sans expression : visages clos, ne témoignant ni arrogance ni abattement. Ces vaincus ne semblaient nullement affligés de leur sort.

Notre laissez-passer du Grand Quartier Général nous mena jusqu’à Sainte-Menehould, aux confins de l’Argonne, où il fallut nous arrêter au Grand Quartier Général de la Division pour obtenir la permission d’aller plus loin.

L’État-Major était logé dans une maison qui avait eu beaucoup à souffrir de l’occupation allemande. On y avait improvisé