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intégrante. C’était un sage actif, continuellement mêlé à l’action, aimant l’action, la recherchant toujours, ne la délaissant jamais et qui seulement ne confondait pas l’action avec l’agitation.

C’était un sage qui, sans précipitation ni même empressement, agissait sans cesse pour la tâche choisie, pour le but visé, pour le noble résultat souhaité et qui se donnait tout entier, sans altération de son calme, à sa mission. Français et bien Français, Français du cœur de la France, il eût méprisé cette ataraxie qui au fond, quoique demandant du courage, ne laisse pas d’être mêlée de quelque paresse et langueur de cœur, quand elle n’est pas cela même caché sous un beau nom philosophique. Il était un sage qui mettait sa sagesse dans l’action, et qui en l’y mettant ne croyait pas la compromettre, mais croyait la placer où il faut qu’elle soit et c’est à savoir à l’endroit qui a le plus besoin d’elle.

C’était un sage et il ne semblait pas s’en apercevoir et tout au moins il ne songeait pas à s’en féliciter. Il était la modestie même et non pas de cette modestie qui se dénonce et qui, en faisant remarquer qu’elle existe prouve précisément qu’elle n’est guère qu’à l’état de louable intention, mais qui est dans le silence sur soi et dans l’art instinctif de se dérober à l’éloge, et, sans le repousser avec éclat, de le mettre doucement en déroute. Sa physionomie et son attitude semblaient dire : « Je ne permets à personne de faire mon éloge, pas même à moi ; et parce que je ne le fais pas, même indirectement, il faut bien croire que je veux que personne ne le fasse, puisque le laisser faire, c’est toujours un peu y collaborer. »

C’était un sage ; je suis tenté de dire : c’était le sage.


Ses deux dernières années furent particulièrement dignes d’admiration et de respect. Il a vu venir avec calme cette guerre qu’il avait tant prévue et il l’a vue éclater avec impassibilité. Il n’a pas interrompu la publication de la Revue des Deux Mondes ; il ne l’a pas transportée hors de Paris, malgré les inquiétudes d’août et de septembre 1914. Dans ses chroniques de 1914 et 1915 toujours lucides, toujours pénétrantes, toujours admirablement prévoyantes, il a mis, de plus, la confiance, la résolution, l’intrépidité, la volonté de vaincre qui étaient dans le