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les bords. » Elle était surtout très intellectuelle, un peu raisonneuse, un peu discutante. Tout cela ne déplaisait pas à Francis Charmes, qui apportait dans le régime parlementaire de la maison ses observations nettes et claires, toujours pratiques, toujours pragmatiques, inspirées par le goût à la fois des principes justes et des réalisations désirables.

Il était extrêmement apprécié du public. Il avait l’exposition admirablement claire, le style précis sans concision affectée, très classique, agréable et d’une élégante simplicité. Ses idées étaient justes, mesurées, modérées, toujours prudentes et conduites par un ferme bon sens et une saine logique. C’était un journaliste dans lequel on sentait un homme d’État, et il apportait à écrire la même conscience, les mêmes scrupules et la même prudence qu’un ministre apporte ou doit apporter à agir. Il était si bien dans le cadre grave et de bon goût du Journal des Débats, qu’il semblait qu’il était né pour ce journal, et plutôt encore que ce journal était né pour lui.

Il fréquentait beaucoup M. Thiers à cette époque. Le premier président de la République française l’avait tout particulièrement distingué et avait pour lui une estime et une sympathie singulières. Non seulement il parlait abondamment devant lui, ce qui lui arrivait presque avec tout le monde ; mais, ce qui était tout à fait exceptionnel, il l’interrogeait, avec bienveillance et avec curiosité. Charmes a profité tout autant de ce que M. Thiers lui a dit que des efforts de réflexion prompte et ferme qu’il a faits pour lui répondre.

Sans hâte, ni rien de fébrile, comme au collège, il travaillait énormément, amassant un trésor d’histoire diplomatique, d’histoire politique et d’histoire ethnique, apprenant l’Europe, — car avant tout il faut savoir l’Europe, disait Thiers, — dans ses grandes lignes et dans tout son détail et la conservant tout entière dans sa mémoire, qui était une des plus belles que j’aie jamais connues.

Du reste, il vivait doucement, en famille, avec sa sœur et ses deux frères, puis quand il eut perdu prématurément Gabriel, avec Xavier et avec sa sœur, très attaché au foyer et cependant aimant à fréquenter le monde et, comme le personnage de Casimir Delavigne, manquant partout quand il dînait chez lui.

Il apportait des soins infinis à sa bibliothèque, qui devint peu à peu très belle, très riche, très fière de livres rares. Il